Critiques contre le monopole de la Sécurité sociale en France
Les critiques contre le monopole de la Sécurité sociale en France sont le fait de groupes libéraux qui, sans contester l'obligation d'être assuré, s'appuient sur les évolutions juridiques récentes pour défendre la fin du monopole des organismes d'assurance maladie existants et notamment de ceux (la Sécurité sociale) qui gèrent le versement de la part obligatoire. Selon eux, le jeu de la concurrence permet aux usagers d'obtenir un meilleur rapport couverture/cotisations.
En interprétant certaines directives de l'Union européenne de 1994, ils déduisent la fin du monopole obligatoire d'adhésion à la Sécurité sociale française, malgré les démentis du gouvernement français et de la Commission européenne, les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes et le risque de sanctions pénales. Plusieurs citoyens français ont déjà quitté la Sécurité sociale et souscrit à des assurances privées. Le RSI a reçu, sur la seule année 2013, 225 courriers de désaffiliation[1].
Acteurs
Actions du MLPS et de Claude Reichman
Parmi les défenseurs de cette interprétation libérale des directives européennes, Claude Reichman et le Mouvement pour la liberté de la protection sociale (MLPS) dont il est le président, continuent à militer pour obtenir la reconnaissance judiciaire de ce qu'ils considèrent comme une réalité juridique : l'abolition du monopole de la Sécurité sociale française depuis 1994.
Thèse
Selon Claude Reichman, les directives 92/49/CEE0[2], 92/50/CEE[3] et 92/96/CEE[4] ou tout du moins leur transcription en droit français[5], ont pour effet d'ouvrir à tout résident français le libre choix du prestataire qui le protège dans le cadre de l'assurance maladie obligatoire.
La fin du monopole de la Sécurité sociale résulterait de l'ouverture à la concurrence du secteur des assurances, qui par voie de conséquence entraîne celle de l'assurance maladie. Le droit européen l'emportant sur le droit national, les mentions contraires de la législation française seraient devenues en droit aujourd'hui caduques. Divers courriers émanant de la Commission européenne[6] ainsi que l'arrêt n° 262282 du Conseil d'État du 26 septembre 2005[7] sont cités à l'appui de cette thèse.
Claude Reichman estime que l'abolition du monopole est inéluctable du fait de la liberté d'installation instaurée par l'Acte unique de 1986, et de la disparité des divers systèmes d'assurances sociales en Europe[8].
Médiatisation
La thèse de Claude Reichman a reçu des appuis : Jean-François Prévost, professeur à l'Université Paris Descartes et avocat de Claude Reichman[9], Éric Vanlerberghe, ancien président national de la Mutuelle du ministère de l'Intérieur[10].
Des articles paraissent dans les médias traditionnels :
- le plus souvent ces médias ne se prononcent pas sur la validité de la thèse : L'Entreprise[11], L'Express[12] ;
- d'autres font preuve d'une considération manifeste : Le Parisien[13],[14], Le médecin des Yvelines[15] ;
- d'autres expriment une approbation sans nuances : le Journal de la Haute Marne[16], Le Magazine de la santé sur France 5 aurait diffusé un reportage très réceptif à son interprétation juridique. En juillet 2007, le journaliste Jean-Marc Vittori a également affirmé la fin du monopole dans un éditorial du quotidien économique Les Échos, éditorial consacré plus généralement aux difficultés de la Sécurité sociale. Affirmation démentie quelques jours plus tard par V. Ravoux, directeur général de l'Urssaf de Paris-région parisienne, dans le « forum des lecteurs » de ce même quotidien[17]. L’hebdomadaire Valeurs actuelles du 14 décembre 2007 a consacré sa une au véritable coût de la Sécurité sociale. Il juge son bilan « accablant » en estimant que « la question de la fin du monopole de la Sécu devrait se poser en urgence » et que nul ne pouvait nier que « plusieurs centaines de pionniers, dont Reichman, ont déserté à ce jour la Sécu pour des assurances privées étrangères — souvent après d'interminables procès »[18]. En février 2009, le magazine Entreprendre a consacré un dossier à cette controverse en estimant que le monopole de la Sécurité sociale n'existe plus. Cette libéralisation constitue selon ce magazine « une formidable bouffée d'oxygène pour les entreprises et les ménages[19] » ;
- certains enfin font preuve d'un total désaveu[20].
Malgré la “couverture médiatique” qui lui est consacrée C. Reichman déclare[21] : « j'ai été censuré, souvent amicalement mais censuré quand même », les médias « ne sont pas libres. Ils sont souvent bâillonnés par les intérêts de leurs actionnaires majoritaires qui ne souhaitent pas être mis en délicatesse avec les tenants du pouvoir politique. »
Autres acteurs
- Quatre députés[22] et un sénateur[23] demandent à plusieurs reprises, depuis 2003, par la procédure des questions écrites, la position du gouvernement concernant la fin prétendue du monopole[24].
- La Confédération de défense des commerçants et artisans réclamait également la fin du monopole et milite pour la libre couverture sociale pour les travailleurs indépendants. Son président Christian Poucet, assassiné le 29 janvier 2001, est à l'origine du premier recours européen pour demander l'abrogation du monopole qui a donné lieu à l'arrêt « Poucet et Pistre ».
- Depuis sa fondation en 1991, la Confédération européenne des indépendants a régulièrement dénoncé l'obligation d'adhésion. Mais elle a surtout mis en cause les procédures de recouvrement de l'URSSAF.
- Pour Jean-Philippe Lhernould, professeur à l'université de Poitiers, cette thèse n'a aucun fondement[25].
Le maintien de l'adhésion obligatoire
Démenti des autorités françaises et de la Commission européenne
Les autorités françaises, par la voie de Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé et de la Protection sociale, et de Xavier Bertrand, alors secrétaire d'État à l'Assurance Maladie, ont affirmé le 22 octobre 2004 l'impératif d'affiliation obligatoire à la Sécurité Sociale[26].
Dans un autre communiqué, le ministère de la santé précise « Ces directives [européennes] ont mis en place un marché unique de l’assurance privée mais ne concernent pas les régimes de sécurité sociale des États membres de l’Union européenne. Ceci est explicitement indiqué dans l’article 2.2 dans la directive CEE 92/49. » De fait, l'article 2.2 indique que « La présente directive ne s'applique ni aux assurances et opérations ni aux entreprises et institutions auxquelles la directive 73/239/CEE ne s'applique pas, ni aux organismes cités à l'article 4 de celle-ci. »
La représentation en France de la Commission européenne, via son service de presse confirme également que la directive 73/239/CEE[27] précise dans son article 2 que « La présente directive ne concerne pas : [...] D ) les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale ; [...] »
En effet l'article 137 du traité CE laisse aux États membres la liberté d'organiser à leur gré leur système de protection sociale, que les régimes légaux de sécurité sociale des États membres sont expressément exclus du champ d'application de la directive libéralisant les activités d'assurance, et surtout qu'à au moins cinq reprises la Cour de justice des Communautés européennes a tranché le litige et rappelé la compétence nationale sur l'organisation de la Sécurité sociale française par les arrêts C-238/94[28],[29],[30],[31]. En ces diverses occasions, les partisans de la thèse de Claude Reichman n'ont pu faire la démonstration du bien-fondé juridique de leurs arguments, ni préciser la répartition des statuts des travailleurs qui auraient pu s'exempter de la Sécurité sociale.
Pour les autorités françaises et la Commission européenne, cette thèse n'a aucune valeur[32] et la réglementation européenne ne met pas fin au monopole de la Sécurité sociale. Enfin, la Sécurité sociale a elle-même apporté un démenti quant à la supposée fin de son monopole[33].
Sanctions pénales encourues
Selon le droit français, des sanctions peuvent être encourues pour refus de s’affilier à un régime de Sécurité sociale ou d’y cotiser ; en outre, l'incitation à ne pas cotiser ou à ne pas s'affilier est un délit puni de deux ans de prison et/ou de 30 000 € d'amende[34].
Les partisans de la fin du monopole répliquent que ces sanctions ne concernent que ceux qui se soustraient à l'obligation générale d'assurance, et non ceux qui choisissent de sortir du système français[35].
Autres sanctions
En cas de désaffiliation de la sécurité sociale et de souscription auprès d'un assureur privé d'un contrat d'assurance se substituant au régime obligatoire, le contrat est nul de nullité absolue [36]. Par conséquent, en cas de litige avec l'assureur, l'assuré n'aura aucun recours devant les juridictions françaises.
Annexes
Notes et références
- ↑ Bye-bye Sécu, bonjour huissiers: des travailleurs indépendants tentent le pari », 20minutes.fr, publié le 28 février 2014, en ligne, consulté le 29 juin 2015.
- ↑ Directive relative à l'assurance « non-vie »
- ↑ Directive relative à la passation des marchés publics de services (cette directive n'est plus en vigueur)
- ↑ Directive relative à l'assurance-vie
- ↑ loi 94-5 du 5 janvier 1994, la loi 94-678 du 8 août 1994 et l’ordonnance 2001-350 du 19 avril 2001 (ratifiée par la loi 2001-624)
- ↑ Une lettre de 2001 où est notamment fournie une analyse de la situation des mutuelles françaises régies par le Code rural et une traduction personnelle d'une lettre de 2003 concernant le régime de la Sécurité sociale néerlandaise
- ↑ Conseil d'État, , Mutuelle générale des services publics
- ↑ [1]
- ↑ Avis de Jean-François Prévost recueilli par L' Express
- ↑ La Révolution, éditorial de Éric Vanlerberghe, MMI info, n° 9, juin 2002, sur le site de Claude Reichman
- ↑ Entrepreneurs individuels et professions libérales - Avez-vous le droit de quitter la Sécu ?, L'Entreprise, n° 233, avril 2005, sur le site de Claude Reichman
- ↑ Le monopole de la Sécu est-il menacé?, Anne Vidalie, L'Express, 13 décembre 2004
- ↑ Assurance maladie - la bataille de la CSG, Jean-Marc Plantade, Le Parisien, 13 juillet 2004, sur le site de Claude Reichman
- ↑ Débat - La fin du monopole de la Sécu sur le blog de Ségolène Royal, Jean-Marc Plantade, Le Parisien, 10 juillet 2006, sur le site de Claude Reichman
- ↑ Sécurité sociale - Le monopole contesté, interview du docteur Bruno Gomez par les docteurs Odile Buisson et Richard Hanlet, Le médecin des Yvelines n° 42, septembre 2006, sur le site de Claude Reichman
- ↑ SECU...FD, Bruno Theveny, Journal de la Haute Marne, 26 septembre 2005, sur le site de Claude Reichman
- ↑ Sécurité sociale : une franchise pas très franche, article dans Les Échos le 12 juillet 2007, Sécu : monopole pas mort, démenti par le directeur général de l'Urssaf de Paris-région parisienne dans le « forum des lecteurs » des Échos du 23 juillet 2007
- ↑ Valeurs actuelles, 14 décembre 2007, p. 18
- ↑ Entreprendre, n° 227, p. 70-72 Le dossier sur le site de Claude Reichman
- ↑ Le monopole de la Sécu implicitement confirmé, Béatrice Taupin, Le Figaro, 6 septembre 2006
- ↑ Fin du monopole de la Sécu : info ou intox ?, La Gazette, 16 février 2005, sur le site de Claude Reichman
- ↑ Jean-Marc Roubaud, Jérôme Rivière, Jacques Remiller et Marcel Bonnot
- ↑ Roland du Luart
- ↑ Jean-Marc Roubaud en 2003, question publiée au JO du 26 mai 2003 n° 18952 avec réponse du gouvernement 10 mois plus tard le 18 janvier 2005 ; Jérôme Rivière, question publiée au JO du 2 janvier 2007, n° 115253 ; Jean-Marc Roubaud, question 6579 publiée au JO le 9 octobre 2007 ; Jacques Remillier, question 17579 publiée au JO du 26 février 2008 ; Marcel Bonnot, question 24134 publiée au JO le 3 juin 2008 ; Roland du Luart, question 05780, JO Sénat du 9 octobre 2008, p. 2022.
- ↑ Jean-Philippe Lhernould, « L’Europe n’a pas mis fin au monopole de la sécurité sociale », Editions Francis Lefebvre, (lire en ligne, consulté le )
- ↑ Communiqué - Affiliation obligatoire à la Sécurité sociale, République Française,
- ↑ Voir directive 73/239/CEE.
- ↑ Arrêt de la Cour du 26 mars 1996 José García e.a. contre Mutuelle de prévoyance sociale d'Aquitaine e.a. - Assurance non vie - Directive 92/49/CEE du Conseil - Champ d'application
- ↑ Arrêt de la Cour du 28 avril 1998 Kohll c.Union des caisses de maladie - Libre prestation des services - Remboursement des frais médicaux engagés dans un autre État membre
- ↑ Arrêt de la Cour du 22 janvier 2002 Cisal di Battistello Venanzio & C. Sas contre Istituto nazionale per l'assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (INAIL) - Affiliation obligatoire à un organisme d'assurance contre les accidents du travail - Qualification en tant qu'entreprise d'un organisme d'assurance contre les accidents du travail.
- ↑ Arrêt Nazairdis en octobre 2005 (C-266/04 et suivants, point 54) et en 2006 dans l’arrêt Piatkowski (affaire C-493/04)
- ↑ Place aux mauvaises nouvelles, Courrier de la Commission européenne, Direction Générale Marché Intérieur et Services, adressé à Mme Laure Allibert, cité par elle-même
- ↑ L’Europe a-t-elle mis fin au monopole de la Sécurité sociale ? Démenti de la Sécurité sociale.
- ↑ Code de la sécurité sociale - Article L114-18 [lire en ligne (page consultée le 2017-02-18)]
- ↑ Monopole : tout le monde savait, sur le site de Claude Reichman
- ↑ Code de la sécurité sociale - Article L615-4 [lire en ligne (page consultée le 2018-10-07)]
Bibliographie
- Claude Reichman, Sécurité sociale : Le vrai mal français, Paris, Les Belles Lettres, , 203 p. (ISBN 2-251-48001-3)
Articles connexes
Liens externes
- Libre Assurance Maladie, site défendant la fin du monopole
- MLPS, Mouvement pour la Liberté de la Protection Sociale, site de Claude Reichman
- Le monopole de la Sécurité sociale, sur le site officiel de la Sécurité sociale
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