Marie Anne Charlotte de Corday d’Armont, retenue par l'histoire sous le nom de Charlotte Corday (elle-même toutefois se faisait désigner et signait sa correspondance de son premier prénom Marie), née le à Saint-Saturnin-des-Ligneries (Orne)[n 1],[2] et guillotinée le à Paris, à vingt-quatre ans, est une personnalité de la Révolution française, connue pour avoir assassiné Jean-Paul Marat le .
Charlotte Corday est la troisième des cinq enfants de François de Corday d’Armont, gentilhomme normand, ancien lieutenant aux armées du roi, et de Charlotte Marie Jacqueline de Gautier des Authieux de Mesnival (, morte à Caen le ). La légende populaire voulait que Charlotte Corday ait pu s'introduire chez Marat, ancien médecin du duc d'Orléans, grâce à ses relations familiales, mais ce lien n'y fut sans doute pour rien.
Le Ronceray, la maison où Charlotte Corday a grandi, près de Vimoutiers.
Sa famille, noble mais sans fortune, vivait auparavant dans une petite maison près de Vimoutiers. Les parents de Charlotte Corday ont eu cinq enfants dont quatre survivent à la petite enfance. L'un de ses frères, François de Corday, né en 1774, sera fusillé à Auray en 1795[3].
En butte à divers conflits familiaux sur la répartition de l'héritage entre lui et ses frères, François, le père, déménage à Caen, la grande ville la plus proche. Veuf en 1782, il se trouve dans la difficulté : comme beaucoup d'autres membres de la petite noblesse, il cherche à placer ses enfants. Refusée quelques années plus tôt dans la prestigieuse maison de Saint-Cyr, Charlotte Corday, alors âgée de treize ans, est admise avec sa sœur cadette à l'abbaye aux Dames à Caen, qui, en tant qu'abbaye royale, devait accueillir les jeunes filles pauvres issues de la noblesse de la province de Normandie[4].
L'instruction dans ce couvent est donc soignée. Ses lectures sont alors sérieuses — notamment les auteurs classiques — traduisant une curiosité intellectuelle. Son père lui prête quelques volumes de Montesquieu et de Rousseau, ce qui permet de supposer qu'elle a acquis une certaine culture philosophique et donc politique. Elle admire les philosophes, s'ouvre aux idées nouvelles, tout en conservant sa foi religieuse. Pourtant, solitaire, elle est aussi marquée par une piété en voie de transformation, à la fois plus intérieure et spectaculaire : elle cultive le goût du sacrifice, de la mort jeune et de la foi intérieure[5]. C'est au nom de cette foi qu'elle vivra notamment son exécution comme un don de soi, et refusera la confession ultime en prison[6].
Un de ses parents, Frédéric de Corday, racontera plus tard :
« Charlotte avait le feu sacré de l’indépendance, ses idées étaient arrêtées et absolues. Elle ne faisait que ce qu’elle voulait. On ne pouvait pas la contrarier, ceci était inutile, elle n’avait jamais de doutes, jamais d’incertitudes. Son parti une fois pris, elle n’admettait plus de contradiction. Son oncle, le pauvre abbé de Corday m’en a parlé dans les mêmes termes, comme d’une personne qui avait un caractère d’homme. Elle avait, en outre un esprit assez railleur, assez moqueur… Elle était susceptible de sentiments nobles et élevés, de beaux mouvements. Avec l’énergie dont elle était douée, elle s’imposait et n’en faisait jamais qu’à sa tête. Quoique dans la famille les femmes soient toutes énergiques, il n’y en avait pas qui eussent un caractère aussi décidé, aussi capable. Si elle eût commandé un régiment, elle l’eût bien mené, cela se devine[8]. »
« Rendue au siècle », la jeune femme retourne vivre chez son père, qui avait vendu la ferme « du Ronceray », où elle a grandi, pour en acheter une autre, avec de nouveaux fermages, dite « la ferme des Bois ».
Début , Marie Anne Charlotte de Corday quitte la campagne pour aller vivre à Caen, chez sa tante, Madame de Bretteville-Gouville, rue des Carmes. Elle a alors vingt-trois ans, et défend fièrement ses idées constitutionnelles, dans un milieu où on compte encore beaucoup de royalistes.
Lors de l'insurrection du 10 août, le roi est suspendu de ses fonctions, puis incarcéré à la tour du Temple. De nombreux « suspects », dont ses derniers serviteurs, répartis dans les prisons de Paris et de province, sont exécutés sommairement entre le 2 et le . Le député jacobinJean-Paul Marat, dans son journal radical l'Ami du peuple[n 2], se félicite de ces massacres. Cet événement refroidit certains admirateurs de la Révolution.
Olympe de Gouges écrivait notamment en septembre : « Le sang, même celui des coupables, versé avec cruauté et profusion, souille éternellement les révolutions[9]. » Puis secondant Louvet et les Girondins, elle dénonce énergiquement le « boutefeu Marat » à l'opinion publique. Les critiques adressées par les Girondins, relayées par les journaux et les articles de Dulaure, Brissot, Condorcet, Mercier ou Villette, sont entendues à Caen.
Emportés par les assauts de la Commune de Paris et des députés prônant l'exagération révolutionnaire, vingt-neuf députés Girondins sont décrétés d'arrestation immédiate, à la suite des journées du 31 mai et du 2 juin 1793 ; plus de la moitié arrive à fuir Paris. Certains trouvent refuge dans le Calvados, près de Caen[5]. Ils y organisent des réunions politiques à l’hôtel de l'Intendance, sise rue des Carmes (la rue même où Charlotte de Corday loge chez sa tante), réunions auxquelles Charlotte Corday assiste à plusieurs reprises.
Marat, depuis son acquittement au Tribunal révolutionnaire, poursuit de sa vindicte les Girondins par son journal interposé ; il symbolise sans doute aux yeux de Corday l'injustice et le mensonge. Il devient sa cible, après qu'elle a entendu le député girondin de Pézenas s'écrier : « Faites tomber la tête de Marat et la patrie est sauvée[10]. »
Le , elle quitte Caen pour le quartier du Palais-Royal à Paris, où elle descend à l’hôtel de la Providence, rue des Vieux-Augustins au no 19[n 3], le , à midi. Munie d'une lettre d’introduction du député Barbaroux, elle se rend chez le député Claude Romain Lauze de Perret, qui lui fait bon accueil. Dans la conversation, il lui apprend que Marat, souffrant, ne paraît plus à la Convention. Ayant projeté dans un premier temps de tuer Marat à la Convention nationale, elle est contrainte par cette nouvelle à changer de plan[11].
Le lendemain, elle rédige dans son hôtel un manifeste intitulé « Adresse aux Français amis des lois et de la paix ». Dans ce testament politique, elle annonce son projet d'assassiner Marat, pour sauver la République.
« La Montagne triomphe par le crime et l'oppression, quelques monstres abreuvés de notre sang conduisent ses détestables complots et nous mènent au précipice par mille chemins divers[12]. »
Dans la matinée du , elle cherche par deux fois sans succès à se faire recevoir par « l’Ami du Peuple ». Elle a alors l’idée de lui faire parvenir un court billet :
« Je viens de Caen, votre amour pour la patrie doit vous faire désirer connaître les complots qu’on y médite. J’attends votre réponse. »
En fin de journée, sans réponse, elle décide d’écrire un second billet :
« Je vous ai écrit ce matin, Marat, avez-vous reçu ma lettre ? Je ne puis le croire, puisqu'on m'a refusé votre porte ; j'espère que demain vous m'accorderez une entrevue. Je vous le répète, j'arrive de Caen ; j'ai à vous révéler les secrets les plus importants pour le salut de la République. D'ailleurs je suis persécutée pour la cause de la liberté ; je suis malheureuse, il suffit que je le sois pour avoir droit à votre protection[13]. »
Elle met le billet dans sa poche, sort de sa chambre, fait appeler un fiacre et se rend au no 20 de la rue des Cordeliers. Elle a, glissé dans son corsage et rangé dans sa gaine sous le fichu rouge qui recouvrait sa gorge, un couteau de cuisine à manche d’ébène et virole d’argent, qu'elle a acheté le matin même pour 40 sous, dans la boutique du coutelier Badin, sous les arcades du Palais-Royal, au no 177 de l’actuelle galerie de Valois.
Il est sept heures du soir quand son fiacre s’immobilise devant chez Marat[5].
Charlotte Corday est ensuite maîtrisée par Simone Évrard, la compagne de Marat, et ses gens de maison. Protégée contre la foule, elle est conduite non loin, à la prison de l'Abbaye, où elle subit une fouille en règle. Outre quelques objets personnels, on trouve sur elle une feuille de papier pliée en huit, dans laquelle elle explique les raisons de son geste.
Le procès
Transférée le à la Conciergerie, elle comparait le lendemain au Tribunal révolutionnaire.
Jacques-Bernard-Marie Montané préside, assisté des juges Foucault, Roussillon et Ardouin. Fouquier-Tinville occupe sa place d’accusateur public. Au banc du jury siègent Jourdeuil, Fallot, Ganney, Le Roy, Brochet, Chrétien, Godin, Rhoumin, Brichet, Sion, Fualdès et Duplain. Montané lui ayant enjoint de désigner un défenseur, elle choisit le Girondin Doulcet de Pontécoulant[14], et, en attendant qu’il la rejoigne, on désigne d’office le citoyen Guyot, « homme de loy[14]. »
Le jour même, Fouquier-Tinville informera Doulcet, mais la lettre lui étant parvenue trop tard pour lui permettre d’assumer cette tâche[14], le président nomme d’office Chauveau-Lagarde, présent à l’audience, défenseur de Charlotte Corday[15].
Après la lecture de l’acte d’accusation, l’audition des témoins, on donne lecture de la lettre qu’elle a écrite à son père, le , et qui a été interceptée au sein de laquelle elle revendique son acte.
Après l’intervention de Chauveau-Lagarde, son défenseur, le jury reconnaît que l’accusée a commis l’assassinat « avec des intentions criminelles et préméditées ».
Le tribunal condamne Charlotte Corday à la peine de mort et ordonne qu’elle soit conduite au lieu de l’exécution revêtue de la chemise rouge réservée aux assassins[n 4].
L'exécution
Charlotte Corday conduite à la guillotine par Arturo Michelena (1889).
Un récit romancé de son exécution figure dans les Mémoires apocryphes de Sanson, en réalité dus à la plume du jeune Honoré de Balzac et de Louis-François L'Héritier de l'Ain. Cette publication destinée à bien se vendre ne peut donc être prise comme un témoignage authentique. Elle révèle bien plutôt la place de Charlotte Corday dans la mémoire de la noblesse catholique et royaliste au XIXe siècle.
Après sa mort, les Jacobins demandèrent une autopsie de son corps afin de vérifier si Charlotte Corday avait pu avoir des rapports sexuels. Ils étaient alors convaincus qu'elle avait agi sur les ordres d'un homme, peut-être un amant. Selon Guillaume Mazeau, un historien français spécialiste de la Révolution française, Corday fut également souvent présentée comme une célibataire débauchée, ou comme une mauvaise fille[16]. Les médecins constatèrent cependant que cette femme était vierge[17] sous l'appellation précise de virgo intacta[18],[19].
Quant à Jules Michelet, il en fait également le récit dans son Histoire de la Révolution française.
Représentation américaine de l'assassinat de Marat par Corday, 1892.
Charlotte Corday à la Conciergerie (gravure de 1838).
Charlotte Corday devant le tribunal révolutionnaire.
Charlotte Corday, La dernière toilette par Mathieu Ward (1871).
Exécution de Charlotte Corday, gravure d'époque, 1793.
Hommages et postérité
Dès son procès, elle est, soit considérée comme une tyrannicide libératrice, soit honnie comme une meurtrière parricide. De nombreuses pièces de théâtre lui sont consacrées au XIXe siècle. Alphonse de Lamartine, dans son Histoire des Girondins, l'appelait « l’ange de l’assassinat ». Les historiens de ce siècle la dépeignent soit comme une ardente héroïne de la Révolution, soit comme une royaliste illuminée[5].
Peu de temps après sa mort, une controverse naît à Paris à propos de la couleur de ses cheveux. Son passeport la décrit brune alors que Jean-Jacques Hauer peint un portrait de Corday avec des cheveux blonds et poudrés. Cette histoire est liée au contexte anti-royaliste de l'époque, le poudrage des cheveux étant un symbole de la noblesse. Selon la journaliste Clémentine Portier-Kaltenbach, son corps aurait été autopsié à l'hôpital de la Charité pour attester de sa virginité (l'accusateur public lui ayant attribué de nombreux amants) puis transféré au cimetière de la Madeleine, alors que son crâne aurait été conservé par Charles-Henri Sanson, remis à Rousselin Corbeau de Saint Albin, secrétaire de Danton puis acquis, en 1858, par la famille Bonaparte et se trouverait aujourd’hui chez les descendants du prince Radziwiłł[20]. Les ossements du cimetière de la Madeleine (dont le squelette de Charlotte Corday), désaffecté en 1794, ont été transférés dans les catacombes de Paris.
Poésie
André Chénier est l’auteur d'un poème en l’honneur de Charlotte Corday.
Assassin's Creed Unity (2014) Une mission annexe propose au joueur de résoudre le meurtre de Marat ; Charlotte Corday y apparaît donc comme la coupable.
We. The Revolution (2019) Charlotte Corday y apparaît étant jugée pour le meurtre de Marat.
Fate/Grand Order Charlotte Corday est un personnage de classe Assassin surnommée l'ange de l'assassinat
Un quartier de la ville de Mondeville, dans le Calvados (également en Normandie) porte le nom de Charlotte Corday[34].
Notes
↑Aujourd'hui sur le territoire de la commune d'Écorches.
↑Dans l’Ami du peuple, le , Marat, avait déjà appelé au massacre des prisonniers : « Quel est le devoir du peuple ? Il n’y a que deux partis à prendre… Le plus sûr, le plus sage est de se porter en armes à l’Abbaye, d’en arracher les traîtres, de les passer au fil de l’épée… » Extrait du texte cité dans : Condorcet, un intellectuel en politique, Élisabeth et Robert Badinter, Fayard 1988, p. 470.
↑Lettre citée dans : Les Grandes Heures de la Révolution, tome III G. Lenotre André Castelot. Paris, Perrin, 1963.
↑Benoîte Groult, Ainsi soit Olympe de Gouges, Paris, Grasset, 2013, 208 p., (ISBN 978-2-24680-414-7).
↑Léon Thiessé, Débats de la convention nationale, ou Analyse complète des séances de cette mémorable assemblée, avec les noms de tous les membres, pétitionnaires ou personnages remarquables qui y ont figuré, t. 1, Bossange, coll. « Collection de mémoires sur la révolution française », (lire en ligne), p. 269
↑Jacques Guilhaumou, La mort de Marat, Éditions Complexe, , p. 152.
↑Ce billet fut retrouvé sur elle après le meurtre. Sur ce même billet, le commissaire qui procéda à la fouille nota : « La présente n’a point été remise à son adresse, devenue inutile par l’admission de l’assassin à sa 2e présentation, vers les 7 heures et demie de relevée ; heure à laquelle elle a consommé son forfait. » Fac-similé du billet : Charlotte Corday, Bernardine Melchior Bonnet, Perrin 2000.
↑ ab et cAlbert Sorel, Charlotte de Corday : une arrière petite fille de Corneille, Paris, Hachette, 1930, 246 p., p. 218.
↑Louis Du Bois, Charlotte de Corday : essai historique, offrant enfin des détails authentiques sur la personne et l'attentat de cette héroïne, Librairie Historique de la Révolution, (lire en ligne), p. 141
↑Clémentine Portier-Kaltenbach, Histoires d'os et autres illustres abattis : morceaux choisis de l'histoire de France, Paris, Lattès, , 264 p. (ISBN 978-2-7096-2830-3, lire en ligne)
↑Raymond Faigle, « La création au Grand-Théâtre de Caen de Charlotte Corday, héroïne caennaise », Le Petit Parisien, (lire en ligne [PDF])
Alphonse de Lamartine, Histoire des Girondins, Paris, Furne, 1858, 4 (vol. , portrait in III, Typographie Henri Plon.
Léon de La Sicotière, « Charlotte Corday et Fualdès », Revue des questions historiques, Paris, vol. 2, , p.218-247 (lire en ligne). — Tiré à part : Paris, V. Palmé, 1867 (texte remanié et augmenté de l’article paru sous le même titre dans Le Droit : journal des tribunaux, n° 148, 23 juin 1861, p. 606-607).
Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, Paris, Gallimard, 1961-1962
G. Lenotre, André Castelot, Les grandes heures de la Révolution française, t. III, « Les dix journées de Charlotte Corday », Librairie Académique Perrin, 1963 (réédité en 1968).
Jacqueline Dauxois, Charlotte Corday, Paris, Albin Michel, 1988.
XXIe siècle
Philippe Déterville, De la Normandie à Paris… Charlotte Corday. Itinéraire d'une courte vie. Orep éditions, 2006.
Jean-Denis Bredin, On ne meurt qu’une fois, Charlotte Corday, Paris, Fayard, 2006.
G. Lenotre, André Castelot, Les grandes heures de la Révolution française, t. III, « Les dix journées de Charlotte Corday », Paris, Librairie Académique Perrin, 1963 (réédité en 1968).
Guillaume Mazeau, Charlotte Corday et la Révolution française en 30 questions, La Crèche, Gestes, 2006.
Guillaume Mazeau, Charlotte Corday et l'attentat contre Marat : événements, individus et écriture de l’histoire (1793-2007), thèse de doctorat, Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, 2007, présentation en ligne.
Guillaume Mazeau, « Écrire la vie de Charlotte Corday : naissance d'un enjeu de mémoire dans le premier XIXe siècle », Revue d'histoire du XIXe siècle, no 40 « Discours. Imaginaire, science, révolution », , p.27-41 (lire en ligne).