Antoine Watbled
Naissance | (Pas-de-Calais) |
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Décès |
vers 1860 ? Paris ? |
Activité principale |
Médecin, chirurgien-major,candidat à l’élection présidentielle de 1848 |
Langue d’écriture | français |
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Genres |
homme politique |
Médecin, chirurgien-major, candidat à l’élection présidentielle de 1848, Antoine Watbled est né à Landrethun-les-Ardres, un village du Pas-de-Calais, en 1793. Il commence sa carrière dans la marine militaire à Boulogne-sur-mer. Médecin puis chirurgien-major, il sera un disciple de Sylvester Graham, le chantre de l’Hygiénisme, conception révolutionnaire de la santé née aux Etats-Unis au début du XIXe siècle. En février 1848, à l’âge de 55 ans, il se présente aux élections de la Constituante, puis aux premières élections présidentielles au suffrage universel, en décembre. C’est un échec retentissant qui mettra fin à ses ambitions politiques mais il n’en continua pas moins son combat pour le triomphe des théories hygiénistes.
Origines et jeunesse
Son père était marchand brasseur à Landrethun-les-Ardres. Dès sa jeunesse, Antoine Watbled se fait remarquer par son sens de la justice, son esprit d’ordre et d’économie. Il observe attentivement le travail des paysans, prend conscience de leurs problèmes et de leurs besoins. C’est un enfant vif et curieux de tout. Il est passionné de Littérature, écrit beaucoup et note sur le papier ses idées pour changer la société qu’il trouve sclérosée et apporter le bonheur à ses concitoyens. C’est avec émotion qu’il observe le vétérinaire qui soigne les animaux de son grand-père qui était propriétaire-cultivateur. C’est peut-être cela qui le conduira plus tard à étudier la médecine. Dans ce domaine comme dans d’autres, il revendiquera très vite son savoir-faire mais laissera son entourage familial perplexe. À l’âge de 13 ans, en 1806, il quitte ses parents et son village et entre dans la marine militaire à Boulogne-sur-mer. Il songe alors à devenir aspirant de la marine, puis officier, mais il y renonce et se retrouve commis au bureau de l’inscription maritime. Il envisage ensuite de devenir commissaire de la marine, mais sa rencontre avec Amable Lambert, un officier de santé, le ramène à la médecine qu’il commencera à pratiquer dans la marine. On le retrouvera ensuite au 10e régiment d’infanterie, un régiment créé sous la Révolution à partir du régiment de Neustrie, lequel s’illustra sous l’Ancien régime.
Découverte de l’Hygiénisme
Dans les années 1830, il devient médecin-major et commence à s’intéresser à l’Hygiénisme. L’Hygiénisme que l’on peut définir comme l’art de se nourrir et de se soigner en harmonie avec les lois de la nature, est une conception révolutionnaire de la santé, née aux Etats-Unis au début du XIXe siècle. Contrairement aux modes de pensée habituels véhiculés par la médecine officielle, l’Hygiénisme enseignait alors la vanité de la recherche et de l’absorption de remèdes pour soigner tous nos maux, car, affirmait-il, notre organisme, et lui seul, possède les prérogatives de vaincre nos maladies par son propre pouvoir d’auto-guérison. L’utilisation de remèdes ou de thérapies est inutile. L’Hygiénisme pouvait se résumer par la formule : « supprimer la cause et l’effet disparaîtra », car le pouvoir curatif est la prérogative exclusive des cellules vivantes. Avec enthousiasme, Antoine Watbled adhère aussitôt à cette théorie et va donc inciter ses malades à refuser pour se soigner, tout ce qui n’est pas naturel. Connaître la nature dont nous nous sommes dangereusement éloignés au fil des siècles, est par conséquent pour lui une nécessité absolue. Antoine Watbled devient le disciple de l’américain Sylvester Graham qui enseignait les bienfaits du végétarisme et mettait en avant les moyens hygiéniques de prévention et de traitement des grands fléaux, comme notamment le choléra. Il assurait obtenir des résultats significatifs par l’application de règles d’hygiène simples. Watbled entretient par ailleurs sur ce sujet une correspondance suivie avec le docteur Louis René Villermé considéré aujourd’hui comme un des pionniers de la médecine du travail, et qui entra en 1831 au Conseil d’Hygiène publique et de Salubrité. En mars 1832, l’épidémie de choléra fut meurtrière à Paris, avec près de 19 000 morts, et Villermé sera sur le terrain pour combattre la maladie. Après la capitale, le choléra fera aussi des ravages à Marseille en 1835. On dénombrera 2 500 victimes, la mortalité la plus grande depuis la fameuse grande peste de 1720. Les théories hygiénistes postulaient également qu’une amélioration de notre milieu de vie entraînerait systématiquement une amélioration sensible de notre santé, d’où la nécessité de travaux urbanistiques, en particulier dans le domaine de l’aération, la destruction des logements insalubres, la lutte contre la pollution. Elles proposaient donc un véritable nouvel art de vivre.
Toulonnais d’adoption
En 1837, le chirurgien-major Watleb prend sa retraite à l’âge de 44 ans, et il s’installe à Toulon. Il va donc pouvoir consacrer tout son temps et son énergie à la propagation de ces théories et à y ajouter les siennes. Sa tête bouillonne d’idées dans tous les domaines. Pour lui, l’urbanisme pour les collectivités devait être entièrement repensé. Il décide donc de faire pression auprès des politiques afin qu’ils s’emparent du problème et agissent pour transformer notre cadre de vie. A une époque où la tuberculose et l’alcoolisme étaient endémiques, l’Hygiénisme doit beaucoup à Antoine Lavoisier qui démontra notamment le rôle de l’oxydation dans la nature et le corps humain, ainsi que dans l’agriculture et la production industrielle. Ce courant de pensée révolutionna la France et ses voisins en quelques années, tant ses applications étaient variées, depuis la médecine jusqu’à l’architecture. Pour Paris et les grandes villes comme Toulon, le docteur Watbled préconise le développement des réseaux d’égouts, le traitement des eaux usées, le ramassage des déchets, la lutte contre la tuberculose. Ecologiste avant l’heure, il conseille de prendre des bains d’eau froide, de pratiquer des sports et des activités physiques en pleine nature pour se maintenir en bonne santé, d’être donc plus heureux et bien dans son corps et dans sa tête et, conséquence immédiate, l’homme vivra plus longtemps. Le maire de Toulon, le général Jean Ernest de Beurmann à qui il expose ses théories, l’écoute avec bienveillance mais ne le prend guère au sérieux. Le docteur Watbled est estimé par les Toulonnais mais il est perçu comme un original, un « doux rêveur » et ne parvient pas à convaincre ses interlocuteurs. Alors, il entend s’adresser plus haut. Est-ce la raison pour laquelle il quitte le Midi et part pour Paris en 1842 ?
Watbled à Paris
Aussitôt installé dans la capitale, il contacte les plus hautes autorités de l’Etat, mais n’obtient aucune audience. Alors, il adresse aux députés, aux pairs de France, aux plus grandes personnalités de l’Etat, et même au roi Louis-Philippe, des lettres contenant ses théories hygiénistes ainsi que ses réflexions sur toutes les questions politiques, économiques et sociales. Hélas, personne ne daigne seulement lui répondre. Plus encore qu’à Toulon, il est considéré dans la capitale, comme un farfelu. Il en ressent alors une profonde amertume. Son combat pour l’Hygiénisme, l’Hygiénisme à la sauce Watbled, finit par tourner à l’obsession. Son caractère ombrageux n’arrange pas les choses. Il s’enferme peu à peu sur lui-même et finit par perdre tout contact avec le réel. Il croit détenir les secrets de « la santé éternelle » et du bonheur universel, mais personne ne l’écoute, personne ne l’entend. Il est persuadé d’être comme tous les grands esprits, un incompris. La réalité est qu’il n’a aucune notoriété et qu’il est ignoré de tous.
Présidentielles de 1848
Quand survient la révolution de février 1848 et que la Seconde République est proclamée, il a 55 ans. Bien que ne s’étant jamais intéressé à la politique, il décide de se présenter aux élections de la Constituante. C’est bien entendu un échec, mais cette tentative lui permet de découvrir qu’un projet de constitution commence à être élaboré. Il reçoit cette information comme une révélation qui le plonge « dans un ravissement extrême », et quelques semaines plus tard, il publie, dans l’indifférence générale, une version modifiée de cette constitution. Et comme il considère qu’il est le seul capable d’appliquer ses théories, il décide dans la foulée, de se porter candidat à l’élection présidentielle du mois de décembre. Cette première élection présidentielle au suffrage universel - mais néanmoins restreint puisque les femmes étaient exclues - fut un événement considérable dans tout le pays. Les principaux candidats qui se détachent progressivement et sont investis seront au nombre de six :
- Le général Louis Eugène Cavaignac, républicain modéré, célèbre opposant à la Monarchie de Juillet, honnête et dur, avec sa physionomie de condottiere du Moyen-Age. Homme d’ordre, il était soutenu par la bourgeoisie et les républicains modérés, mais pour le peuple, c’était « le boucher de juin », qui réprima sévèrement l’insurrection.
- Alphonse de Lamartine, célèbre poète romantique, l’âme de « l’illusion lyrique » des premiers mois de la Seconde République, que pour écarter on fait passer pour « un poète égaré dans la politique »,
- Alexandre Ledru-Rollin, candidat des radicaux qui regroupait autour de lui les démocrates et affirmait la nécessité de réformes sociales, mais qui était la bête noire de l’Eglise. C’est sous son impulsion que fut instauré le suffrage universel.
- François-Vincent Raspail, candidat socialiste révolutionnaire, pionnier de l’anarchisme, soutenu par le journal Le Peuple de Proudhon. Chimiste de formation, il connaîtra plus dans sa vie les prisons que les dorures des palais de la République. Il sera député de Marseille en 1866, puis dix ans plus tard, en 1877.
- Le général Nicolas Changarnier, candidat monarchiste parce qu’il en fallait bien un, mais qui avait accepté de se lancer que contraint et forcé,
- et enfin Louis-Napoléon Bonaparte, le neveu de Napoléon, qui ne brillait ni par son charisme, ni par ses talents oratoires, mais qui était très ouvert aux questions sociales et sensible à la condition des classes laborieuses, comme semblait le démontrer sa brochure De l’extinction du paupérisme publié en 1844, et qui parvenait à rassembler des électorats très différents, parfois antagonistes, de l’extrême-gauche à la droite cléricale.
Selon un décret publié en novembre, le vote se fit au sein d’assemblées électorales réunies au chef-lieu du canton, et chaque vote pour être recevable devait être inscrit sur papier blanc. Cela permettait de voter pour des personnalités n’ayant pas fait acte de candidature, comme Louis Blanc ou Pierre Leroux pour les socialistes, Arago et Jacques Charles Dupont de l'Eure pour les républicains, Montalembert, La Rochejaquelin et Adolphe Thiers pour les monarchistes.
Sa candidature
Antoine Watbled est persuadé d’avoir toutes ses chances et d’être le seul candidat sérieux, honnête et compétent. Il adresse à tous les journaux de Paris et de province en date du 12 novembre, le texte de sa candidature, en leur demandant « d’avoir la bonté de faire insérer, gratuitement ou par amour de la patrie, l’offre de service ci-jointe : Français, ouvrez les yeux et lisez ceci : Il s’agit de votre bonheur que vous pouvez contribuer immédiatement à réaliser vous-même.
Le docteur Antoine Watbled qui s’occupe, depuis très longtemps, d’une manière générale, 1° de le conservation, 2° de l’éducation physique, morale et intellectuelle, 3° de la prospérité, 4° du perfectionnement et 5° du bonheur des Français, ainsi qu’il l’a fait connaître sommairement dans sa profession de foi politique, adressée aux Electeurs du département de la Seine […] estimant que son expérience politique l’oblige consciencieusement de demander à être placé dans l’Etat comme Président de la République […] a l’honneur de prévenir tous ses compatriotes qu’il se porte, dans toute la France et ses colonies, Candidat à la Présidence de la République française, pour réaliser plus facilement ses améliorations à ces divers sujets, et contribuer plus aisément au bonheur, autant que possible, du peuple français, s’ils daignent le nommer Président de ladite République ». La plupart des journaux jouent le jeu, mais ce candidat que personne de connaît, intrigue. Quant à son programme, destiné à assurer le « bonheur » immédiat du peuple, il ne manque pas d’attrait, mais hormis les quelques suggestions issus des théories hygiénistes, il est aussi utopique que vague et inconséquent. L’un de ses projets les plus précis est la création d’une banque nationale qui prêterait « à tous les Français qui en auraient besoin » à un taux de 5,5% par an. Antoine Watbled ne doute de rien, et sûr de lui, déterminé et avec une certaine arrogance, fustige ses concurrents et affirme qu’il n’est pas un candidat marginal et fantaisiste, qu’il sera élu car les électeurs n’auront pas d’autre alternative. Il tente de s’ériger en troisième homme, et la veille du scrutin, fait placarder à ses frais sur les murs de Paris et des grandes villes, des affiches bleues sur lesquelles on peut lire : « Français, vous avez d’un côté Cavaignac, un sabreur, dont la liberté ne veut pas, de l’autre Louis-Napoléon, un prince, dont la République s’inquiète ; pour vous tirer d’embarras, nommez le docteur Watbled. Signé : Watbled ». Il fera partie des nombreux petits candidats déclarés ou pas ayant obtenu moins de 0,04 % des voix.
Génial précurseur ?
Après cet échec retentissant, Antoine Watbled retourna aussitôt dans l’anonymat d’où il avait eu tant de peine à s’extraire pour un temps, mais il n’en continua pas moins à s’investir pleinement dans la diffusion des théories hygiénistes. Il mourut probablement à Paris, mais on ignore en quelle année, ni où il fut enterré. Celui qui fut certainement le premier candidat hors partis et hors système et le revendiquait, emporta avec lui ses mystères et de nombreuses questions se posent toujours le concernant, comme celles-ci :
Fut-il un candidat hygiéniste ?
Louis-Napoléon devenu Napoléon III, lorsqu’il demanda au baron Hausmann d’entreprendre la rénovation des villes, à commencer par Paris, dans un souci hygiéniste, avait-il lu les lettres dont Watbled avait inondé Paris pendant plus de vingt ans et qui contenaient ses théories hygiénistes, et dans ce cas, y avait-il été sensible ?
Les vertus de la pratique des sports, de même que celles curatives de l’eau de mer, ne sont-elles pas un peu une reconnaissance de son action dans ce domaine ?
Quant à l’Hygiénisme alimentaire, un autre cheval de bataille de Watbled, à savoir le fait de manger des aliments sains, nutritifs, digestes et naturels, il a aujourd’hui le vent en poupe. On ne peut que s’en féliciter, mais ne le doit-on pas aussi en partie à notre illustre inconnu des premières présidentielles ?
Un homme sincère
Alors comment définir Antoine Watbled ? Fut-il un candidat loufoque à la limite du dérangement mental ou une sorte de génie méconnu ? Il se disait sage, raisonnable en toutes circonstances et réfléchi, et ce qu’il voulait par-dessus tout, c’est faire profiter les autres de sa sagesse et de son expérience… Mais n’était-il pas un peu fou ? Comme le disait fort justement Molière : « C’est une folie à nulle autre seconde de vouloir se mêler de corriger le monde ». Ce qui semble sûr, c’est qu’il était un homme sincère voulant réellement le bonheur de ses concitoyens, et qui croyait à tout ce qu’il proposait. Il était persuadé de détenir la vérité en toute chose. Le problème est que, comme le dira fort justement Marcel Jouhandeau
- « La sincérité absolue ne peut conduire qu’à l’immobilité ou… à la folie ».
Enfin, Antoine Watbled fut le premier candidat antisystème dans une élection présidentielle au suffrage universel.
Sources et Bibliographie
- Archives de la ville de Marseille,
- Archives municipales de Toulon,
- BMVR L’Alcazar Marseille,
- BNF - Site Gallica,
- Agulhon Maurice, 1848 ou l’apprentissage de la République, Seuil, Paris, 1973,
- Aprile Sylvie, La Deuxième République et le Second Empire, Pygmalion, 2000,
- Claude Camous, article sur La Provence Histoire N°8,
- Frioux Stéphane, Les batailles de l’hygiène - Villes et environnement, P.U.F. Paris, 2013,
- Girard Claude, La Deuxième République 1848-1851, Calmann-Lévy, 1968,
- Jorland Gérard, Une société à soigner - Hygiène et Salubrité publique en France au XIX° siècle, Gallimard, Paris, 2010,
- Mosséri Albert, Hygiénisme - La santé par la nourriture, Le Courrier du Livre, Paris, 1954,
- Olivesi Antoine et Nouschi André, La France de 1848 à 1914, Armand Colin.
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