Antiméridionalisme

L'antiméridionalisme est un type de racisme visant les Méridionaux en France. C'est une idéologie qui va bien plus loin que les stéréotypes populaires ou littéraires moqueurs sur les Méridionaux[1], même s'il peut aussi les récupérer[2]. Des Méridionaux ont subi des discriminations[3] et ont fait face à de l'hostilité, parfois même ils ont subi des violences physiques et morales à cause du racisme d'antiméridionaux français[4].

Description

L'antiméridionalisme français est une haine contre les français du Sud de la France très en vogue à la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle[Ca 1]. Il ne doit pas « être confondu avec les stéréotypes populaires ou littéraires qui moquent de plus ou moins longue date le Méridional, sa faconde, sa paresse, sa vanité de matamore vide, etc., même s’il peut continuer à les véhiculer »[Ca 2]. Dans le cadre de cette haine, le Méridional est accusé de confisquer à son profit la richesse produite par le nord et pour ce faire de s'être emparé des leviers du pouvoir. Il est également argué sa responsabilité dans la laïcisation du pays, en raison de son scepticisme et son anticléricalisme forcené[Ca 3].

Sous la Troisième République

Né dans les années 1880-90 un proto-fascisme français, actif sur le terrain littéraire est en train de se constituer. Son idéologie est composée d'antiméridionalisme, de rejet de la démocratie parlementaire, de mythe de pureté ethnique, d'une hiérarchisation des races et d'exclusion raciales[5]...

Pour Gaston Méry la fusillade de Fourmies (neuf morts le 1er mai 1891) a été « commandé par des Latins et exécuté par des Juifs sur une population purement Gauloise ». Il associe les Méridionaux aux Juifs comme bouc émissaire et leur élimination pourrait résoudre tous les problèmes de la société moderne[5]. Dans son roman Jean Révolte il met en marche la mobilisation antiméridionale contre les intellectuels du sud de la France: « N’ont-ils pas aussi fondé une école Romane ? Moréas, Morice, Maurras, ils sont tous Maures dans cette école-là ! Et vous ne trouvez pas que le moment est venu de nous associer à notre tour, nous les vrais Gaulois, nous les gens d’ici, pour résister à cette nouvelle invasion de l’esprit latin. Et pourquoi ne fonderions-nous pas, nous, l’école des Racistes. »[5].

L'antiméridionalisme n'est pas limité à des groupes extrémistes minoritaires. Un rapprochement est fait entre les Juifs, les Arabo-musulmans et les Méridionaux, dont les trois font l'objet de haine par des Français du Nord. Voici comment sont décrits péjorativement les Occitans lors de la croisade des Albigeois face aux croisés venus du Nord, par un historien à l'origine de l’ « Histoire de France » officielle des manuels scolaires français:

«  Les mangeurs d’ail, d’huile et de figues rappelaient aux Croisés l’impureté du sang mauresque et juif, et le Languedoc leur semblait une autre Judée. »

Jules Michelet, historien, professeur d’histoire au Collège de France, auteur de manuels scolaires, Histoire de France Tome troisième; Meline, Cans et Compagnie, 1840.

Toujours du même auteur, on peut lire une autre répartition symbolique de type ethno-religieuse: « le Sud est juif, musulman (hérétique), le Nord est chrétien, normé. Le Sud est nomade, provient de l’Ancien Testament, inachevé. Le Nord est fixe, accompli. »[6].

«  Le Nord et le Midi se trouvaient en présence pour se haïr. Le Midi s’était montré au Nord sous l’aspect le plus choquant, esprit mercantile plus que chevaleresque, dédaigneuse opulence, légèreté moqueuse, danses et costumes moresques, figures sarrasines. »

Jules Michelet, historien, professeur d’histoire au Collège de France, auteur de manuels scolaires. Notre France. Sa géographie, son histoire, Paris, Marpon et Flammarion, 1886, p.127

Première Guerre mondiale

Pendant la Première Guerre mondiale, une des graves conséquences de l'hostilité des Français septentrionaux est l’affaire du 15e corps, où des méridionaux victimes de préjugés ethniques ont été accusés à tort d’avoir cédé face aux Allemands. Ils seront fusillés pour l’exemple alors qu'aujourd'hui on sait que la faute était imputable à leurs supérieurs[7].

Description d’un antiméridionalisme bien implanté dans l'armée française en 1914, lors de la première guerre mondiale:

« de gros infirmiers bien nourris lancent des brocards [nota: moqueries blessantes] virulents aux petits montagnards [Ariégeois d’un régiment réduit de moitié par les combats] qui sont restés toute une nuit sous le feu, à la même place, tandis qu’eux-mêmes ronflaient dans leur paille fraîche, à l’abri. »

Jean Norton Cru, Témoins: essai d'analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en France de 1915 à 1928, Cressé : PRNG éditions, impr. 2016, p. 430-432. (ISBN 978-2-36634-073-0)

Nouvel antiméridionalisme

« les auteurs associés aux avant-gardes symbolistes et au milieu boulangiste fondent leur défense de la latinité sur un imaginaire du nord, afin de se distinguer du naturalisme et du Félibrige. Après la Grande Guerre, cet imaginaire septentrional ne semble plus apte à figurer la latinité ; la réévaluation de l’héroïsme s’accompagne alors d’un rejet du classicisme latin dont se réclament aussi bien l’Action française que la NRF, et conditionne le développement d’un nouvel antiméridionalisme qui entretient des rapports variés avec le fascisme. »

— Sarah Al-Matary, « Des rayons et des ombres. Latinité, littérature et réaction en France (1880-1940) »

« La France n’est latine que par hasard, par raccroc, par défaites, en réalité elle est celte, germanique pour les trois quarts. Le latinisme plaît beaucoup aux Méridionaux francs-maçons. Le latinisme, c’est tout près de la Grèce. La Grèce, c’est déjà de l’Orient. L’Orient, c’est tout près de la Loge ; La Loge c’est déjà du Juif. Le Juif, c’est déjà du nègre. Ainsi soit-il. La bougnoulisation du Blanc par persuasion latine, par promiscuité maçonnique. La France est aryenne, pas du tout juive, pas du tout nègre. La partie solide de la France, l’anti discoureuse, a toujours été la partie celte et germanique ; la partie qui se fait tuer, la partie qui produit, la partie qui travaille, la partie qui paie est celte et germanique. Dix départements du Nord paient autant d’impôts que tout le reste de la France. La partie non celtique de la France cause et pontifie. Elle donne au pays ses ministres, ses vénérables, ses congressistes hyper-sonores. C’est la partie vinasseuse de la République, la Méridionale, profiteuse, resquilleuse, politique, éloquente, creuse.  »

Louis-Ferdinand Céline, L’Ecole des cadavres 1938

« Zone Sud, peuplée de bâtards méditerranéens, de Narbonoïdes dégénérés, de nervis, Félibres gâteux, parasites arabiques que la France aurait eu tout intérêt à jeter par-dessus bord. Au-dessous de la Loire, rien que pourriture, fainéantise, infect métissage négrifié. »

Louis-Ferdinand Céline, novembre 1942

Etat actuel

Les raisons d'un sentiment de « vol » des prospères septentrionaux par les Méridionaux ont disparues. La situation économique actuelle est renversée. Les régions du nord de la France ont connu la crise et la pauvreté tandis que l'Occitanie de Bordeaux à Nice n'a cessé d'attirer les immigrants, les cadres et les industries de technologies de pointe[2].

Citations

« Vive l'Allemagne et à bas Marseille ! - ah ! les Valmajour et les Mistral, la Provence et le Quercy ! - quand je me sonde, je me sens une haine de catholique contre l'ignoble juif qui domine maintenant le monde et une exécration de vieux saxon contre la bruyante race latine. Non, vrai, je ne suis pas de mon temps ! et surtout pas de la nationalité qu'on m'impose !  »

Joris-Karl Huysmans, 31 mai 1884 en parlant de l’expansionnisme méridional.

«  [...] si les juifs sont des accapareurs, les Méridionaux sont des envahisseurs. De leurs doigts crochus, les juifs attirent tout à eux, les méridionaux, eux, s'insinuent partout. Semblable au criquet en Algérie le Méridional se faufile partout où il y a une parcelle de pouvoir à saisir. Le pouvoir, c'est ce qui l'hypnotise, comme l'or hypnotise le sémite. Pas plus que les sémites, ils ne sont de même race que nous. Ils ont, et ils s'en vantent, une langue spéciale, des mœurs spéciales, une cuisine spéciale. ! Comme les juifs, ils se sont mêlés à nous, mais comme! les juifs on les distingue au Premier coup d'œil. Leur accent, leur manque de tact, un je ne sais quoi qui émane: d'eux, quelque chose de faux, d'outré, d'agaçant et de répugnant les fait reconnaître, comme une odeur d'ail. Gascon et Provençal, cela n'est-il pas synonyme de hâbleur, de menteur, de fanfaron ? (...) Il ne faut pas s'y tromper, sous le bon garçon sans souci et jovial qu'il paraît, se cache presque toujours un ambitieux à froid, un égoïste féroce. Ce qui domine en lui, c'est le désir de s'élever par tous les moyens, car si le Juif veut de l'argent, le Méridional veut des places et tous deux d'ailleurs se tendent volontiers la main, s'entraidant comme larrons en foire. »

Gaston Méry, Jean Révolte, Dentu, 1891

«  De plus, Juif aussi en cela, comme il possède à un degré extraordinaire l'instinct de l'association, quand le Midi est quelque part, il abonde. [Le méridional] s'étend comme un filet, une toile d'araignée monstrueuse, sur le pays tout entier. La politique, l'administration, le clergé, la littérature, l'art, il a tout envahi. Il est devenu la cuscute de la France, une sorte de parasite vorace qui nous ronge et nous ruine [...] Il faut résolument [les] retrancher de chez nous comme une excroissance infectieuse, comme une loupe hideuse absorbant le meilleur de nos veines [...] Dans la politique, c'est le Juif qui dirige, et le Méridional qui agit. Derrière Rouvier, il y a Rothschild [...] Si le Juif veut de l'argent, le Méridional veut des places.. »

Gaston Méry, Jean Révolte, Dentu, 1891

Références

  1. « L’on sait qu’il existe en France une image, d’abord littéraire, du méridional, exubérant et vantard, ridicule ou fanfaron, hâbleur et inconséquent. »

    — X. de Planhol, Géographie historique de la France, Paris, Fayard, 1988, 635 p., p. 153-160 in Marcilloux Patrice, « L'anti-Nord ou le péril méridional », Revue du Nord, 2/2005 (n° 360 - 361), p. 647-672, en ligne, DOI : 10.3917/rdn.360.0647

  2. 2,0 et 2,1 Cabanel et Vallez 2005.
  3. (en) « An outdated legal system The French state’s policy rejects any references to national, racial, ethnic, religious or linguistic minorities. This model is based on the idea that the state should interact with the individual only, not communities or groups, in order to give equal treatment to everyone. “Absolute equality” is seen as the best way to ensure the integration of all citizens, to the benefit of both the state and the citizens themselves. As a result, French authorities have rejected any form of targeted measures for ethnic, religious or linguistic groups. In practise this has rendered minorities invisible and brought systemic forms of discrimination. » How French law makes minorities invisible The Independent Jeremie Gilbert, David Keane, 14 Novembre 2016
  4. Pour exemple, voir le cas extrême de l’affaire du 15e corps, où des Méridionaux ont été fusillés à tort.
  5. 5,0 5,1 et 5,2 Jean-Marie Seillan, « Nord contre Sud. Visages de l'antiméridionalisme dans la littérature française de la fin du XIXe siècle », Loxias, no 1,‎ (lire en ligne).
  6. De l’invisibilisation et de son retroussement. Étude du cas occitan : normalité de la disparition, ou normalisation du bi/plurilinguisme ?, Lire en ligne, Pierre Escudé, 2015
  7. Georges Liens, « Le stéréotype du Méridional vu par les Français du Nord de 1815 à 1914 », La Provence Historique, Aix-en-Provence, 1977 lire en ligne.

Bibliographie

  • Patrick Cabanel et Maryline Vallez, « La haine du Midi : l’antiméridionalisme dans la France de la Belle Époque », dans Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, 2001, Toulouse, vol. 126, , 87-97 p. (lire en ligne), chap. 11.
  1. Cabanel 2005, p. 87.
  2. Cabanel 2005, p. 88.
  3. Cabanel 2005, p. 87-88.
  • L'anti-Nord ou le péril méridional Patrice Marcilloux, Revue du Nord 2005/2-3 (n° 360 - 361), pages 647 à 672
  • Sarah Al-Matary, « Des rayons et des ombres. Latinité, littérature et réaction en France (1880-1940) », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 95 | 2017, mis en ligne le 15 juin 2018, consulté le 01 août 2021. URL : http://journals.openedition.org/cdlm/8812 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cdlm.8812
  • Marie-Noëlle Bourguet, Philippe Martel, (éd.), L'invention du Midi. Représentations du Sud pendant la période révolutionnaire. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 45ᵉ année, N. 2, 1990. pp. 464-466. www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1990_num_45_2_278847_t1_0464_0000_001
  • Bernadette Suau, La Révolution française et le Midi : L'invention du Midi. Représentations du Sud pendant la période révolutionnaire, dossier préparé par Philippe Martel dans Amiras / Repères occitans, Aix-en-Provence, Édisud, 1987. In: Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 101, N°188, 1989. Structures foncières et hiérarchies sociales. pp. 471-475. www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1989_num_101_188_2261_t1_0471_0000_8
  • Jean-Marie Seillan, « Nord contre sud. Visage de l’anti-méridionalisme dans la littérature française à la fin du XIXe siècle »
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  • Christian Amalvi, Alexandre Lafon, & Céline Piot, (dir.), Le Midi, les Midis dans la IIIe République (Nérac, 13 mai 2011), Nérac, Éditions d’Albret, 2012.
  • Céline Piot,, La fabrique de l’autre : l’anti-méridionalité au XIXe siècle http://revue-klesis.org/pdf/klesis-38-insularite-05-piot-la-fabrique-de-l-autre-l-anti-meridionalite-au-xixe-siecle.pdf
  • Jean-Yves Le Naour, Désunion nationale. La légende noire des soldats du Midi, Paris, Vendémiaire, 2011
  • Alexandre Lafon, , « Le Midi au front : représentations et sentiment d’appartenance des combattants méridionaux 1914-1918 », in Amalvi C., Lafon A. & Piot C. (dir.), Le Midi, les Midis dans la IIIe République (Nérac, 13 mai 2011), Nérac, Éditions d’Albret, 2012, p. 257-280.
  • Jean-Yves Le Naour, « La faute aux “Midis” : la légende de la lâcheté des Méridionaux au feu », in Annales du Midi, t. CXII, n°232 : spécial 1914-1918, octobre/décembre 2000, p. 499-516.
  • Jean Estèbe, « La République a-t-elle été gouvernée par le Midi de 1871 à 1914 ? », in France du Nord et France du Midi, Actes du 96e congrès des sociétés savantes, Paris, éditions du CTHS, 1976, p. 189-196.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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