Culture de Cucuteni-Trypillia

Culture de Cucuteni-Trypillia

Définition
Autres noms Culture de Tripol'e
Lieu éponyme Cucuteni, 60 km à l'ouest de Iași (Moldavie)
Trypillia, près de Kiev (Ukraine)
Caractéristiques
Répartition géographique Roumanie, Moldavie, Ukraine
Période Néolithique
Chronologie du VIe au IIIe millénaire av. J.-C.
Type humain associé Populations néolithiques originaires d'Anatolie
Signe particulier Villages proto-urbains fortifiés
Description de cette image, également commentée ci-après
Domaine de la culture de Cucuteni-Trypillia

Objets typiques

Céramique rubanée, statuettes anthropomorphes, débuts du travail du cuivre et de l'or

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Autre cartographie des cultures néolithiques dans cette zone

La culture de Cucuteni-Trypillia (du nom de deux villages), en roumain culture de Cucuteni-Tripolia, en russe culture de Tripol'e (Триполье) et en ukrainien culture de Trypillia (Трипілля), est une culture archéologique du Néolithique qui s'est développée du VIe au IIIe millénaire av. J.-C. (d'environ 5800 à ), et qui s'étendait des Carpates au Dniepr, de la Roumanie à l'Ukraine actuelles. Elle donna naissance aux agglomérations proto-urbaines les plus importantes de l'époque[1].

Historique

Les archéologues roumains l'ont appelé la culture de Cucuteni, d'après le nom d'un village situé près de Iași, en Roumanie, où en 1884 ont été découverts les premiers vestiges de cette culture. Plus tard, en 1897, un site de la même culture a été découvert en Ukraine, près de Kiev. Les archéologues locaux lui ont donné le nom de culture de Trypillia, en ignorant volontairement le nom initial.

Chronologie

La culture de Cucuteni-Trypillia est généralement divisée en trois périodes, précoce, moyenne et tardive, avec des sous-divisions marquées par des changements dans la culture matérielle. La datation par le carbone 14 de ces différentes phases n'est pas cohérente d'un auteur à l'autre. Le découpage suivant représente l'interprétation la plus courante :

  • précoce (pré-Cucuteni I – III à Cucuteni A – B, Trypillia A à Trypillia BI – II) : 5800 à 5000 av. J.-C. ;
  • moyenne (Cucuteni B, Trypillia BII à CI – II) : 5000 à 3500 av. J.-C. ;
  • tardive (Horodiştea – Folteşti, Trypillia CII) : 3500 à 2800 av. J.-C.

Les racines de la culture de Cucuteni-Trypillia se trouvent dans les cultures de Starčevo-Körös-Criș et de Vinča, du VIe au Ve millénaire av. J.-C., avec une influence complémentaire de la culture Bug-Dniestr (6500 – 5000 av. J.-C.). Pendant la première période de son existence (au VIe millénaire av. J.-C.), la culture de Cucuteni-Trypillia a également été influencée par la culture rubanée au nord, et par la culture de Boian–Giulesti de la basse vallée du Danube.

Au cours du Ve millénaire av. J.-C., la culture de Cucuteni-Trypillia s'est étendue depuis sa source, située dans la région du Prout - Siret, le long des contreforts orientaux des Carpates, vers les bassins et les plaines du Dniepr et du Boug méridional, dans l'ouest de l'Ukraine. Des colonies se sont également développées au sud-est des Carpates, avec des matériaux connus localement sous le nom de culture Ariuşd.

Des contacts étroits ont été identifiés entre les cultures de Trypillia et de Sredny Stog à partir de 4700 - 4600 av. J.-C. D'une part, des pratiques agricoles apparaissent autour des habitats du groupe de Dereivka de la culture de Sredny Stog, et d'autre part, des motifs de la culture de Sredny Stog apparaissent sur certaines poteries de la culture de Trypillia[2].

Habitat

La plupart des implantations étaient situées près des rivières, avec quelques établissements situés sur les plateaux. Les premières habitations ont pris la forme de maisons à fosse, qui ont été accompagnées de manière croissante de maisons en terre battue. Les planchers et les foyers de ces structures étaient en argile et les murs en bois ou en roseaux enduits d'argile. La toiture était faite de paille de chaume ou de roseaux.

Les grands villages proto-urbains étaient fortifiés par de longues rangées de maisons mitoyennes élevées sur deux à trois niveaux, formant des enceintes plus ou moins elliptiques. Les maisons étaient construites avec une charpente en bois taillée à l'aide de haches en pierre ou en cuivre, les murs étant construits en recouvrant des branchages avec un torchis d'argile mélangée à du son, selon une technique qu'on rencontre encore de nos jours dans les steppes ukrainiennes. Les maisons comportaient souvent deux niveaux : le rez-de-chaussée pour les tâches ménagères, et l'étage pour le repos. De nombreux bâtiments collectifs de très grande dimension occupaient également ces villages.

Les établissements plus petits étaient temporaires, bâtis pour une durée d'environ trois quarts de siècle. La population était encore partiellement nomade, et changeait de site une fois les ressources locales épuisées.

Principaux sites

  • Talianki, en Ukraine (oblast de Tcherkassy, district de Talne) au sud de Kiev, est le site le plus vaste actuellement connu. Il pouvait abriter 10 000 à 15 000 personnes[3] sur 450 ha dans 2 700 maisons, dont certaines avaient des dimensions impressionnantes. L'ensemble s'inscrivait dans une ellipse de 3,5 km sur 1,3 km, et toute l'organisation de la cité semblait fondée sur une maille ovoïde, jusqu'au dessin des rues et au contour des blocs de maisons. Le site était entouré d'une enceinte ovale dotée de portes, le tissu urbain lui-même présentant, au moins par endroits, une organisation radiale dénotant une planification à grande échelle.
  • Nebelivka , en Ukraine (oblast de Kirovohrad), a été entièrement cartographié avec précision par des méthodes géophysiques. Cette ville couvrait une surface de 260 ha. Elle est constituée de deux enceintes ovoïdes concentriques espacées de 70 à 130 m qui sont faites de longues rangées de maisons mitoyennes alignées, et à l'intérieur, de cinquante rues radiales. Un fossé large de 4 mètres et profond de 2,50 m entoure la cité. De nombreuses méga-structures, vraisemblablement collectives, ont été détectées. La ville tout entière semble avoir été conçue dès le départ selon un plan déterminé, mais les irrégularités et lacunes vis-à-vis de ce plan laissent penser que la construction de la ville a été progressive ou approximative[4].
    • Un temple de grande dimension a été mis au jour et fouillé à Nebelivka[5]. Ce temple est un bâtiment rectangulaire de bois et d'argile à deux étages mesurant 60 m par 20, entouré d'une galerie extérieure en bois, le plancher supérieur était divisé en cinq salles et contenait huit autels. Sur l'un des autels, de nombreux os d'agneaux brulés ont été trouvés, attestant l’existence de pratiques sacrificielles. De petites statuettes votives et quelques ornements fins en or (interprétés comme des ornements pour cheveux) y ont également été trouvés. Des restes de peinture rouge sur les murs et le plancher de l'étage supérieur ont également été trouvés, attestant que le temple était peint au moins à l’intérieur.
  • Maydanets, en Ukraine (oblast de Tcherkassy, district de Talne), qui pouvait abriter jusqu'à 10 000 personnes sur 200 ha. Les vues aériennes révèlent des fortifications et des rues bien tracées, selon un plan ovale de 1,5 km sur 1,1 km.
  • Dobrovody, en Ukraine (oblast de Tcherkassy, district d'Ouman), de dimensions comparables à celles de Maydanets, de 250 ha. Les vues aériennes révèlent également des fortifications et des rues bien tracées.
  • Sushkiva, en Ukraine (oblast de Tcherkassy, district d'Ouman), d'une superficie d'1 km2 [6].

L’organisation radiale ainsi que l’absence de traces de conflits guerriers ou d’une élite sociale suggèrent une organisation complexe de ces mégasites en l'absence d’une administration centralisée ou d’une classe dirigeante[7].

Céramique

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Vase de la culture de Cucuteni. Trouvé en Ukraine. Musée national d'histoire de Roumanie.

La céramique très particulière de Cucuteni-Trypillia est un trait caractéristique de cette culture. Elle présente un lien de parenté avec celle de la culture rubanée, notamment pour l'ornementation en rubans et spirales, mais la céramique de Cucuteni-Trypillia est peinte, et se distingue par la richesse de sa polychromie ainsi que par la diversité et l'harmonie des compositions.

On note dès le début du IVe millénaire av. J.-C. la présence d'une céramique de tradition steppique sur des sites de la culture de Cucuteni-Trypillia, de facture bien plus grossière et incorporant des coquilles broyées. On a aussi des traces de l'infiltration de groupes de Seredniï Stih (en russe Sredni Stog), culture d'Ukraine orientale qui résulterait de l'absorption vers de la culture Dniepr-Donets par des groupes à kourganes. En sens inverse, des objets en cuivre de Trypillia ont été trouvés sur des sites de Seredniï Stih, au-delà du Dniepr et même de Khvalynsk, sur la Volga.

Génétique et populations

Les études génétiques ont montré que les populations de la culture de Cucuteni-Trypillia descendaient des premiers agriculteurs du Néolithique qui s'étendirent d'Anatolie vers la Grèce au VIIe millénaire av. J.-C., avec une composante de chasseurs-cueilleurs locaux[8],[9].

En 2019, une étude basée sur les restes de squelettes de quatre femmes extraits de deux sites tardifs de Cucuteni-Trypillia, en Moldavie (3500 - ) montre une composante principale d'ascendance néolithique. Elle révèle que ces personnes étaient génétiquement plus étroitement liées à la culture rubanée qu'aux agriculteurs anatoliens. Trois des spécimens ont également montré des quantités considérables d'ascendance liée à la culture Yamna, suggérant un afflux précoce dans le pool de gènes de Cucuteni-Trypillia de gènes des pasteurs des steppes d'Ukraine orientale. Ce dernier scénario est appuyé par les preuves archéologiques[10].

Ces résultats confirment que la composante génétique steppique était déjà arrivée dans les communautés agricoles d'Ukraine occidentale dès Ils sont également en accord avec l'hypothèse de contacts continus et de mélanges progressifs entre les éléments venant de la steppe et les populations locales[10],[2]. Ce mélange précoce entre les groupes d'agriculteurs de l'âge du cuivre du Sud-Est de l'Europe et les groupes énéolithiques de la zone de steppe dans le sud de l'Ukraine d'aujourd'hui, ont peut-être commencé au milieu du cinquième millénaire av. J.-C. lorsque les densités de peuplement se sont déplacées plus au nord, reliant la région du bas Danube avec la steppe côtière et les groupes Cucuteni-Trypillia de la forêt-steppe[11].

Dans le champ des études sur les Indo-Européens, ces migrations venant de la Steppe pontique constituent un élément en faveur de l'Hypothèse kourgane, contre l'Hypothèse anatolienne.

Galerie

Notes et références

  1. Maciamo, « Haplogroupe I2 ADN-Y », sur Eupedia (consulté le )
  2. a et b (en) Alexey G. Nikitin, Interactions between Trypillian farmers and North Pontic forager-pastoralists in Eneolithic central Ukraine, biorxiv.org, 1er novembre 2022, doi.org/10.1101/2022.10.31.514526
  3. Pierre Lorrain, l'Ukraine une histoire entre deux destins, Paris, éditions Bartillat, , 686 p. (ISBN 978-2-84100-573-4), p. 28-29
  4. (en) John Chapman et al., « The planning of the earliest European proto-towns: a new geophysical plan of the Trypillia mega-site of Nebelivka, Kirovograd Domain, Ukraine », Antiquity, A Review of World Archæology, Durham University, vol. 88, no 339,‎ (lire en ligne)/
  5. (en) Owen Jarus, « 6,000-Year-Old Temple with Possible Sacrificial Altars Discovered », sur Live Science,
  6. c'est-à-dire comparable (mais avec quinze siècles d'avance) à ce qu'était la cité d'Ur, à Sumer, à l'époque de Šulgi pendant la troisième dynastie d'Ur.
  7. David Graeber, David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Lonrai, Les Liens qui Libèrent, , 745 p. (ISBN 979-10-209-1030-1), p. 366-372
  8. (en) Mathieson I. et al., The genomic history of southeastern Europe, Nature, 555, p.197–203, 2018
  9. (en) Chuan-Chao Wang et al., Ancient human genome-wide data from a 3000-year interval in the Caucasus corresponds with eco-geographic regions, Nature Communications, volume 10, n° 590, février 2019
  10. a et b (en) Alexander Immel, Stanislav Țerna, Angela Simalcsik et al., Gene-flow from steppe individuals into Cucuteni-Trypillia associated populations indicates long-standing contacts and gradual admixture, Scientific Reports, volume 10, n° 4253, 6 mars 2020
  11. (en) Sandra Penske, Adam B. Rohrlach, Ainash Childebayeva et al., Early contact between late farming and pastoralist societies in southeastern Europe, Nature, 19 juillet 2023. doi.org/10.1038/s41586-023-06334-8

Bibliographie

  • Vladimir Dumitrescu, Arta culturii Cucuteni (Art de la culture Cucuteni), éd. Meridiane, Bucarest, 1979
  • Iaroslav Lebedynsky, Les Indo-européens - Faits, débats, solutions, Errance, Paris, 2006

Voir aussi

Articles connexes

  • Liste des cultures pontiques
  • Économie de la culture de Cucuteni–Trypillia
  • Installations de la culture de Cucuteni–Trypillia
  • Architecture de la culture de Cucuteni–Trypillia
  • Religion et rituels de la culture de Cucuteni–Trypillia
  • Symboles et proto-écriture de la culture de Cucuteni–Trypillia
  • Zone de la maison brulée

Liens externes