Cheval de Troie
Le cheval de Troie est un objet emblématique de la mythologie grecque, célèbre pour son rôle décisif dans la guerre de Troie, telle qu'elle est décrite dans les récits de l'Antiquité, notamment dans l'Énéide de Virgile et d'autres traditions épiques postérieures à Homère. Selon la légende, il s'agit d'une gigantesque structure de bois en forme de cheval, utilisée par les Grecs comme stratagème pour pénétrer les murs de la ville de Troie, réputée imprenable. Construit sur l'idée d'Ulysse, le cheval est présenté comme une offrande à la déesse Athéna, mais il dissimule en réalité un groupe de soldats grecs cachés à l'intérieur. Une fois le cheval introduit dans la cité, les soldats en sortent sous le couvert de la nuit, ouvrent les portes aux troupes grecques, permettant ainsi la prise et la destruction de Troie.
Symbole de ruse et de tromperie, le cheval de Troie est devenu une métaphore universelle, utilisée pour évoquer des tactiques de subterfuge dans des contextes aussi variés que la politique, la guerre et même l'informatique, avec le terme moderne désignant des logiciels malveillants dissimulés dans des programmes apparemment légitimes. L'histoire du cheval de Troie illustre les thèmes de la trahison et de la vulnérabilité face à l'ingéniosité, tout en soulignant l'importance du jugement et de la méfiance envers les apparences.
Cette légende a inspiré une riche tradition artistique et culturelle au fil des siècles, des fresques antiques aux peintures de la Renaissance, des opéras aux adaptations cinématographiques modernes. Si son existence historique reste incertaine, il demeure l'un des récits les plus puissants de la mythologie occidentale, incarnant les subtilités de la stratégie humaine et les conséquences tragiques de la guerre.
Mythe
Sources du mythe
L'épisode du cheval de Troie est brièvement relaté pour la première fois par Homère dans l’Odyssée, son Iliade arrêtant la narration de la guerre de Troie aux funérailles d'Hector[1],[2]. Tout d'abord, au chant IV (251-290) :
« (...) Dans le cheval de bois, je nous revois assis, nous tous, les chefs d'Argos. Mais, alors tu survins, Hélène ! en cet endroit, quelque dieu t'amenait pour fournir aux Troyens une chance de gloire ; sur tes pas, Déiphobe allait, beau comme un dieu, et, par trois fois, tu fis le tour de la machine ; tu tapais sur le creux, appelant nom par nom les chefs des Danaens, imitant pour chacun la voix de son épouse[3] »
— Odyssée, édition de la Bibliothèque de la Pléiade, 1955.
Puis Ulysse, hôte anonyme d'Alcinoos, demande à l'aède Démodocos de chanter (VIII, 492-495)
« (...) l'histoire du cheval
qu'Épéios, assisté d'Athéna, construisit,
et traquenard qu'Ulysse conduisit à l'acropole
surchargé de soldats qui allaient piller Troie[4]. »
— L'Odyssée d'Homère, traduction de Leconte de Lisle (1998).
Homère résume ensuite sur une vingtaine de vers le récit de Démodocos.
D'autre part, Virgile, qui a contribué à la popularité de l'épisode, en a fait l'objet de tout le chant II de l’Énéide, sous la forme d'un récit fait par Énée à Didon, reine de Carthage.
Nature du mythe
Après avoir vainement assiégé Troie pendant dix ans, les Grecs ont l'idée d'une ruse pour prendre la ville : Épéios construit un cheval géant en bois creux, dans lequel se cache un groupe de soldats menés par Ulysse. Un espion grec, Sinon, réussit à convaincre les Troyens d'accepter l'offrande, malgré les avertissements de Laocoon et de Cassandre. Le cheval est tiré dans l'enceinte de la cité, franchit donc les portes Scées, les Troyens font alors une grande fête.
Lorsque les habitants de Troie sont pris par la torpeur de l'alcool, la nuit, les Grecs sortent du cheval et ouvrent alors les portes, permettant au reste de l'armée d'entrer et de piller la ville. Tous les hommes sont tués, les femmes et les filles sont emmenées comme esclaves. Les enfants mâles sont tués eux aussi pour éviter une éventuelle vengeance.
Dans l'épisode du cheval de Troie, Ulysse, personnage devenu célèbre pour sa mètis (« intelligence rusée »), rend un conseil très apprécié dans la guerre de Troie à laquelle il participe. Ici, il s'agit en fait d'une ruse. Elle se distingue de la tricherie mais aussi du délit (ou du crime) en cela que la ruse est autorisée par la loi ou les règles de l'usage, du jeu, de l'art, de la société ou des accords internationaux. En l'espèce de l'art de la guerre chez les Grecs, il s'agit plus particulièrement d'une ruse de guerre.
Selon Paléphatos
Selon les Histoires incroyables de Paléphatos de Samos, les Grecs construisirent un cheval de bois d'après la dimension des portes : moins large afin de pouvoir être tiré à l'intérieur, mais plus haut. Les chefs se tenaient dans une vallée boisée, près de la cité — lieu baptisé « Creux de l'embuscade ». Sinon, venu du camp argien comme un déserteur, leur annonce que, s'ils se refusent à faire entrer le cheval dans la ville, alors les Achéens reviendront combattre. En entendant cela, les Troyens abattent les portes et introduisent l'animal de bois dans la cité. Pendant qu'ils festoient, les Grecs les assaillent, à travers la brèche qui avait été pratiquée dans les remparts, et c'est ainsi qu'Ilion aurait été prise.
Interprétations
Certains auteurs ont suggéré que le cadeau n'était pas un cheval cachant des guerriers dans ses flancs, mais un bateau porteur d'une ambassade de paix, offre que les Troyens trop peu méfiants ou trop heureux de faire la paix auraient imprudemment acceptée[5]. Après la fête, les Troyens découvrent la sinistre réalité. Selon l'historien Alexandre Tourraix, « cette hypothèse consiste à établir un rapport immotivé entre un fait probable : la destruction de Troie VI par un tremblement de terre, un mythème transmis par l'épopée et les mythographes : le stratagème du cheval de bois, et les liens bien connus de Poséidon, l'Ébranleur du sol, avec le cheval[6] ».
À l'appui de cette interprétation, on remarquera que :
- la civilisation marine grecque assimile le bateau et le cheval, qui est l'animal de Poséidon ; Homère décrit les navires comme les « chevaux de la mer »[7] et qualifie l'offrande de Troie de δουράτεος ἵππος douráteos híppos[8] soit « cheval œuvré », désignation poétique des navires ;
- c'est le navigateur Ulysse, expert en paroles et en ruses, l'un des hommes souvent envoyés en ambassade, qui mène la danse ;
- le sacrifice d'une construction de bois par simple abandon sur une plage est une procédure assez originale pour un rite censé apporter la protection de Poséidon ; l'équivalent n'apparaît nulle part dans la mythologie ;
- les termes utilisés pour placer les hommes dans le cheval sont ceux utilisés lorsque l'on décrit l'embarquement des hommes sur un navire[9].
De nombreuses interprétations sont proposées par des chercheurs : ex-voto équestre (symbole des forces souterraines) offert par les Achéens au dieu Poséidon Hippios pour le remercier d'avoir facilité la destruction de Troie par un tremblement de terre[10]. Selon une autre hypothèse, le cheval de Troie serait en fait une machine de guerre dont on a perdu la mémoire, tels les engins de siège comme le bélier souvent décrits en terme zoomorphes[11].
L'analyse du site archéologique découvert près d'Hisarlık, ne confirme pas ces hypothèses. Les remparts inclinés et l'absence de recul devant les portes ne sont pas favorables à l'idée d'un cheval contenant un bélier ou permettant aux combattants de se hisser au-dessus des remparts. Par ailleurs, des pointes de flèches achéennes ont été mises au jour dans l'enceinte fortifiée. Dans un film documentaire de 2014, une équipe de chercheurs et d'experts militaires conforte l'idée d'un cheval offrande contenant de l'ordre de 9 combattants (contre 30 selon Quintus Smyrnaeus) chargés d'ouvrir les portes de la cité au retour des troupes grecques[12].
Dans la culture populaire
Expressions
- De cet épisode légendaire est née l'expression « cheval de Troie » pour désigner les dons qui s'avèrent être des pièges pour ceux qui les reçoivent.
- On a aussi conservé l'expression latine timeo danaos et dona ferentes (« Je crains les Grecs même s'ils apportent des cadeaux »), c'est-à-dire « attention aux Grecs porteurs de cadeaux », mis dans la bouche de Laocoon dans l’Énéide[13].
Musée
- Un petit musée a été construit en 1955 sur le territoire de l'ancienne ville de Troie, près des Dardanelles (de nos jours en Turquie). Il présente les restes de la ville, ainsi qu'un cheval de bois construit pour symboliser celui de la légende.
Informatique
En informatique, un cheval de Troie désigne un type de programme informatique malveillant, invasif et parfois destructeur. Il est souvent porté :
- soit par un logiciel sous licence et protégé, modifié par des hackers pour en faire cadeau à la communauté numérique ;
- soit par certains gratuiciels, particulièrement lorsque ces derniers proviennent de sites de téléchargement apparemment légitimes voire réputés (ces derniers livrant le dit gratuiciel dans leur propre programme d'installation agissant tel un cheval de Troie, ajoutant un ou des programmes parasites aux côtés du gratuiciel et à l'insu de l'utilisateur).
Documentaire
- 2014 : L'histoire du cheval de Troie de Tom Fowlie.
- 2016 : épisode 10 Le cheval de Troie de la saison 2 de Les Grands Mythes.
- 2021 : L'Énigme du cheval de Troie de Roland May[14],[15].
Notes et références
Notes
Références
- Homère, L'Iliade (édition enrichie), Gallimard Jeunesse, 208 p. (lire en ligne)
- Gérard Lambin, « Le Cheval de Troie », Gaia : revue interdisciplinaire sur la Grèce Archaïque, vol. 3, no 1, , p. 97 (lire en ligne, consulté le )
- Odyssée, édition de la Bibliothèque de la Pléiade, 1955, p. 604.
- L'Odyssée d'Homère, traduction de Leconte de Lisle, Pocket 1998 (ISBN 2-266-05356-6)
- Troy C. 1700-1250 BC, Nic Fields, Donato Spedaliere & Sarah S. Spedalier, Osprey Publishing, 2004, pages 51-52.
- Alexandre Tourraix, Le mirage grec : l'Orient du mythe et de l'épopée, Presses universitaires de Franche-Comté, , p. 67.
- L'Odyssée, IV-708.
- L'Odyssée, VIII-512.
- The fall of Troy in early Greek poetry and art, Michael John Anderson, Oxford University Press, 1997, pages 22-23.
- (de) Fritz Schachermeyr, Die Levante im Zeitalterder Wanderungen vom 33. bis zum II. jalirhundert v. Chr. (Die Agaische Fruhzeit 5, Vienne, 1982), p. 99
- Alexandre Tourraix, Le mirage grec : l'Orient du mythe et de l'épopée, Presses universitaires de Franche-Comté, , p. 58.
- Télérama : L'histoire du cheval de Troie
- livre II v.49, lire en ligne
- « L’Énigme du cheval de Troie (Documentaire histoire) : la critique Télérama », sur www.telerama.fr, (consulté le )
- « Sur Arte, cheval de Troie et pronostics épiques », sur LEFIGARO, (consulté le )
Annexes
Bibliographie
- Sources antiques
- Hygin, Fables [détail des éditions] [(la) lire en ligne] (CVIII) ;
- Quintus de Smyrne, Suite d'Homère [détail des éditions] [lire en ligne] (XII) ;
- Virgile, Énéide [détail des éditions] [lire en ligne] (II, I)
- Tryphiodore, Prise de Troie [détail des éditions] (lire en ligne).
- Sources modernes
- Michael Grant et John Hazel (trad. Etienne Leyris), Dictionnaire de la mythologie [« Who’s Who in classical mythology »], Paris, Marabout, coll. « Savoirs », (ISBN 2-501-00869-3)
- Marcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les ruses de l'intelligence, la Mètis des grecs, Paris, Flammarion,
- (en) H. Rink, Riding the Wooden Horse : The Fall of Troy, , 296 p. (lire en ligne).
- Virgile (trad. Maurice Lefaure, préf. Sylvie Laigneau), L'Énéide, Le Livre de poche, coll. « Classiques », , 574 p. (ISBN 978-2-253-08537-9).
Articles connexes
- Guerre de Troie
- Cheval de Troie (informatique)
- Ruse de guerre
- Liste de ruses dans l'histoire ou la mythologie
Liens externes
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