Tensions avec la minorité musulmane en Corse

Autrefois terre d'émigration (notamment dans les colonies), la Corse est devenu au XXe siècle une terre d'accueil, avec une immigration, surtout en provenance du Maroc. Aujourd'hui, il y a, selon les estimations, 42.000 musulmans sur l'île. Cette immigration berbère méditerranéenne vie de manière apaisée et est facilement assimilable aux insulaires, mais l'instrumentalisation politique des questions d'identités, dans un contexte de crise économique de début de siècle, crée comme en France métropolitaine un climat de division et de rejet identitaire.En 2015, après un guet-apens contre des pompiers corses dans une cité sensible d'Ajaccio, le fait divers récupéré par l'extrême droite métropolitaine, est traité comme une généralité du climat social de l'île, et est transformé en outil de propagande et de division des masses poupulaires.

Relations des Corses avec les minorités

Contrairement aux idées reçues ^[1], les Corses ont plutôt bien toléré ^[2]leurs minorités au cours de leur histoire^[3],[4].

La Corse est la seule région de France à n'avoir dénoncé et déporté aucun Juif pendant la Deuxième guerre mondiale occupation italienne alliée avec les Allemands^[5]. Elle a été décrétée "Juste parmi les justes" pour la quantité de Juifs cachés et sauvés, en proportion à ses habitants^[6].

La Corse est la seule région du monde en dehors de la sardaigne à avoir choisi comme drapeau "la bandera", la tête de Maure: le visage de quelqu'un d'une autre couleur de peau^[7].

La Corse a « un passé d'accueil et d'aide aux plus démunis qui ont accosté sur ces rives en quête d'un travail ou fuyant les conflits. Serbes et juifs de Syrie pendant la Première Guerre mondiale, Russes blancs, républicains espagnols figurent parmi les groupes qui ont trouvé un refuge provisoire ou définitif sur l'île »^[8]

Dans les années soixante, les quartier neufs HLM d'Ajaccio « mêlaient Corses pauvres et immigrés italiens (Sardes et Siciliens souvent), Portugais et Maghrébins. et les mariages mixtes y étaient très fréquents »^[9].

En revanche, l'assimilation de la communauté marocaine est plus difficile ^[10]

Montée simultanée du communautarisme musulman et du vote Front national

Communautarisme musulman

« Depuis les années 90, une certaine répartition selon les origines semble se faire davantage bloc par bloc voire immeuble par immeuble. »^[11] un enseignante de l'école du quartier sensible de l'empereur témoigne « Depuis deux ou trois ans, la situation évolue. Les assistantes sociales témoignent de ce changement : les hommes refusent plus fréquemment de leur serrer la main qu'auparavant, les femmes se voilent davantage.» «Nous n'avons pas l'habitude de voir ce genre de choses en Corse. La vie du quartier est devenue plus tendue au fil des ans. Des femmes voilées de la tête aux pieds, des hommes en jellaba, cela alimente le sentiment diffus de division de la société insulaire, et crée une angoisse »^[12] les Corses « étonnés, choqués, agacés voire révoltés ont vu se répandre dans les villes le port du voile chez de plus en plus de femmes d'origine maghrébine, âgées mais jeunes aussi. »^[13]

Le taux de mariages mixtes chute : 93% des femmes d'origine marocaine se marient avec des hommes de même origine ^[14]. La communauté maintien l'usage de l'arabe comme élément différenciateur, affirmation de la séparation et de la différence. Cela permet de construire une frontière de groupe possédant une clôture étanche des autres identités^[15].

Christophe Mirmand, le préfet de Corse déclare « En Corse, la proportion de personnes issues de l'immigration est parmi les plus élevées de France rappelant que la population d'origine maghrébine et en particulier marocaine constitue l'immense majorité des 27 000 étrangers de l'île recensés en 2011 »^[16]

Vote Front National

La corse a très longtemps résisté au vote front national. ainsi Jean Marie Le Pen a été interdit de parole lors de sa visite de 1992 ^[17]. Mais récemment la situation a évoluée. En 2012, pendant la campagne des élections présidentielles, Marine Le Pen y était accueillie chaleureusement. 25 % des corses votent alors pour elle^[18].

Historique des tensions

Le slogan IAF "I Arabi fora", "les arabes dehors", apparaît dès 1976 et se répand à partir de 1982^[19],[20]. Il est venu après "Francesi fora"^[21]., qui lui était apparu dans les années 1970 sur des graffitis^[22]., inspiré à l'époque de "US go home"^[23].. Aujourd'hui, les deux slogans coexistent sur les murs ^[24].

de 2001 à 2004, un groupe clandestin “I Clandestini Corsi” commet des plasticages à l'encontre des ressortissants marocains. il sera rapidement démantelé et ses membres, jugé et comdamné pour sept attentats racistes^[25]

En 2008, Une enquête réalisée à Ghisonaccia exprime le ressentis des populations immigrés vis à vis de ces tensions^[26].

En mai 2014, Une membre de l'association populaire des Tunisiens de Corse, écrit qu'elle craint une montée de l'intégrisme musulman. Elle se dit alors menacée^[27]

En janvier 2015, le drapeau français est brûlé et remplacé par le drapeau marocain dans une école du quartier de l'empereur ^[28]

En juin 2015 deux institutrices de Prunelli-di-Fiumorbo veulent faire chanter Imagine à leurs élèves en cinq langues, dont l'arabe. Devant les protestations de certains parents, la fête de l'école est annulée^[29].

En septembre 2015, la fête de l'Aïd est annulée à Ajaccio suite à des protestations^[30]

La crise de décembre 2015

• Dans l'après midi du 24 décembre des feux sont allumés dans le quartier des Jardins de l'Empereur, un quartier pauvre à forte densité musulmane de la ville d'Ajaccio. les combustibles sont 400 palettes de bois, une tonne de pneumatiques et un engin incendiaire. Une école du quartier est vandalisée^[31]
• Dans la foulée, les pompiers arrivent pour éteindre les feux. Il sont caillassés, attaqués avec des batte de baseball. Ils entendent "Sales corses dehors" ^[32] . Les chaines d'info en continu n'en font pas échos pour ne pas "provoquer" les nationalistes corses, ni "stigmatiser" la "communauté musulmane"^[33]..
• le 25 au soir, une manifestations de soutiens aux forces publiques est organisée devant la préfecture d'Ajaccio.
• En marge de cette manifestation, une centaine de personnes cagoulées se rendent dans les jardins de l'empereur. Des slogans " on est chez nous" et "Arabi Fora" : les "arabes dehors" sont entendus. Il s'en prennent violemment à une salle de prière, veulent brûler des corans et attaquent un restaurant kebab^[34].
• En 24 heures, l'expressions en langue corse, "Arabi Fora" se retrouve dans les colonnes des journaux nationaux et étrangers^[35]
• le 27 Le préfet de Corse interdit jusqu'au 4 janvier les manifestations dans le quartier « il concerne toutes les manifestations et les rassemblements, et les contrevenants sont passibles de sanction pénale » ^[36]. Cette disposition est prévue par l'état d'urgence ^[37]
• Le 28 Gilles Simeoni, le nouveau président du conseil exécutif de Corse déclare sur europe1 « la conception du peuple corse est une conception ouverte, généreuse (et) accueillante ... Le nationalisme corse est aux antipodes, totalement aux antipodes de tous les phénomènes de racisme, de xénophobie ou d'exclusion » ^[38]. À l"inverse, Jean-Pierre Chevènement affirme « il y a toujours eu un comportement très violemment hostile aux immigrés de la part des nationalistes corses, cela ne date pas d'aujourd'hui » ^[39]
• Les manifestations continuent malgré l'interdiction trois jours de suite en centre ville d'Ajaccio car le quartier des jardins de l'empereur est bouclé par les forces de l'ordre. les mégaphones scandent « On ne casse rien, on ne brûle rien, pas d'insultes ni de propos raciste ». on entend cependant "A terra corsa à u populu corsu." et "arabi fora" ^[40]

Analyses Sociologiques

Selon Liza Terrazzoni, sociologue attachée au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (Cadis-EHESS) et spécialiste des relations interethniques en Corse « En Corse, la majorité de la population ouvrière est étrangère. La population marocaine et tunisienne occupe souvent les emplois très peu qualifiés Donc on est dans une situation sociale marquée par de fortes inégalités, dans une ville clivée, avec des clivages sociaux qui viennent parfois recouvrir des clivages ethniques. »^[41]. « Nous nous trouvons aujourd'hui avec la percée actuelle des idéologies ethnico-nationales, en France et en Europe ^[42]. À ce titre-là, la Corse n'est pas une exception » ^[43]. Sur la forme , en revanche il peut y avoir des réactions plus violentes car « En Corse, la violence est un moyen de résoudre les conflits. Il y a des individus, des groupes qui cherchent à se substituer en quelque sorte » ^[44]

Les revendications des manifestants tournent autour de trois peurs :

• la peur d'une banlieurisation de la Corse
• la peur de l'islamisation de l'île
• la peur d'une identité en danger^[45]

Analyses statistiques

Contrairement à ce que la crise de décembre 2015 pourrait laisser penser, l'analyse des chiffres de la délinquance en corse montre un fort recul en 2015 avec notamment.

• moins de dix attentats pour la première fois depuis la création du FLNC en 1976
• aucun faits n'a revêtu de caractère terroriste
• neuf homicides au plus bas depuis 2007
• douze braquages au plus bas depuis 2000 ^[46]

Sondages

D'après un sondage auprès de l'ensemble des français, effectué par l'IFOP :

• sur la manifestation qui ont suivi l'agression de pompiers corses
  • 17 % l'approuve. 42 % n'approuvent pas cette réaction mais la comprennent, 41 % la désapprouve
• sur le saccage du lieu de prière
  • 57 % le condamne. 43 % ne le condamne pas
• 87% pensent qu'elle pourrait se reproduire dans d'autres villes de France

D'après Jérôme Fourquet , directeur du Département opinion publique à l'IFOP « le lien entre menace terroriste et détérioration de la situation dans certains quartiers difficiles est de plus en plus fait...L'onde de choc créée par le 13 novembre a fait bouger les lignes dans la société française. La question des quartiers de non-droit où des représentants de l'Etat ne peuvent plus entrer sans se faire attaquer ou agresser exaspère au plus haut point une partie de la population française, au point qu'une large minorité comprend (et qu'une minorité importante approuve) quand des mouvements spontanés se mettent en branle quelque part pour se faire justice eux-mêmes » ^[47]

Certains analystes y voit les prémices d'un risque de guerre civile ^[48]

Biographie

• Le racisme en Corse : quotidienneté, spécificité, exemplarité (éd. Albiana) de Marie Peretti-Ndiaye
• Histoire d'une passion corse Par Jean-Pierre Lac
• Violence et nationalisme Par Xavier Crettiez
• Territoriality, Asymmetry, and Autonomy: Catalonia, Corsica, Hong Kong Par Susan J. Henders

Notes

Article publié sur Wikimonde Plus

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