Sophie Grangé

Sophie Grangé[1] est une poétesse française du XIXe siècle, qui a vécut et se fit connaître à Lyon.

Biographie

Fille d'un fabricant de Lyon (les fabricants étant alors à Lyon les patrons de l'industrie de la soie), Sophie Grangé publie ses premières poésies en 1826, faisant paraître deux recueils chez l'éditeur lyonnais J.-M. Barret sous le pseudonyme de « Mlle S***** ». Dans ces deux petits recueils se révèle une jeune fille à l'éducation religieuse solide, qui aime lire et écrit dès ses 13 ans[2]. L'éditeur précise qu'à la publication de ces deux recueils, l'auteure a déjà 22 ans passés[3].

En 1832, Sophie Grangé, jeune femme aux cheveux bouclés couleur ébène, se rapproche des saint-simoniens lyonnais[4], et c'est à cette période qu'elle donne des textes en prose et des poésies au journal littéraire Le Papillon, dirigé par le dramaturge et romancier lyonnais Eugène de Lamerlière (1795-?). Dans les colonnes de ce journal, elle publie quasiment tous les textes que nous lui connaissons à ce jour, et tous traduisent son attachement à la cause républicaine et son combat féministe : elle y dénonce notamment l'institution du mariage et la condition des femmes, y revendique leur indépendance et son statut de "Mlle", et proclame l'égalité et l'autonomie des sexes. "Levez-vous donc, mes soeurs !" écrit-elle dans un poème daté de septembre 1832[5]. Et son combat de "femme libre", tout en le revendiquant dans ses poésies, Sophie Grangé le traduit en acte, revêtant alors son complexe l'habit masculin dans les rues de Lyon[6], « portant admirablement le travesti[7] », provoquant scandales, sarcasmes et humiliation[8]:

<poem>Que m'importe que l'on dise à voix basse Ou haut: Voyez donc cette femme qui passe, Un feutre noir au front et des bottes aux pieds ! - Je suis libre ! et sans voir si la place est permise, Sous le frac ou la robe, à l'aise dans ma mise, Quand je suis lasse, je m'assieds ![9]

Que m'importe et la foule et sa voix ! (...) Oui, je viendrais, moi femme, - et d'une main heureuse, (...) Je le garderai, cet habit ! - Sous la robe La parole est craintive et tremble à s'échapper ; Et l'on ose parler; et triste, on se dérobe. (...) Et moi, je veux à toute voix qui raille, Regarder l'homme en face, - et quand le jour a lui, (...) Je veux porter mes yeux tout aussi haut que lui ![10]</poem>

Certains artistes lyonnais, tels que la poétesse Clara Francia-Mollard (1804-1843) ou bien l'acteur Charles Delacroix (?-1868), l'exhortent à quitter son habit masculin ("Quitte ces faux dehors, ô folle jeune fille ! (...) / Reprends ton voile, / Reprends ton sexe et ses erreurs, / Reprends ta robe en blanche toile, / Reprends ton rang, reprends nos coeurs."[11]), tandis que d'autres, tel que le poète Louis-Agathe Berthaud (1810-1843) qui devient son amant[12], l'encouragent vivement dans sa revendication.

L.-A. Berthaud lui dédie notamment un long poème dans lequel il la soutient moralement dans son action, alors en tout point rebelle : Quoi donc ! tu n'as gagné qu'une seule bataille, Et le corset de fer qui te serrait la taille,' Disloqué maintenant et trop lourd pour ta main,' Comme un sabre en éclats traîne sur le chemin !' (...) Allons donc, ma Sybille, allons donc du courage,' Et dans les jours mauvais faisons tête à l'orage !' Je sais que dans l'arène où ton pas a gravé' Une si forte empreinte aux dalles du pavé,' Je sais que tout n'est pas bonheur et poésie.' (...) Oui, je sais tout cela; mais qu'importe ! Il est temps' Que les Sultanes soient en face des Sultans,' Que Diane ait son temple, et que le femme, libre,' Aux vieux monde qui craque apporte l'équilibre ![13]</poem>

A posteriori, Sophie Grangé apparaît bien comme précurseur d'un féminisme naissant[14] au début du XIXe siècle qu'on ne nommait pas encore, s'inscrivant dans cette « voie de l'émancipation qui fut incontestablement ouverte dans les années 1830 par ces femmes qui, un temps, se sont emparées d'une parole qui leur était offerte[15] ».

Oeuvres

  • Mlle S*****, Recueil de cantiques pour le jubilé, et autres fêtes, Lyon, Barret, 1826
  • Mlle S....., Romances et poésies diverses, Lyon, Barret, 1826

Les autres écrits de Sophie Grangé sont publiés dans le journal lyonnais Le Papillon: journal des dames, des salons, des arts... .

Bibliographie

  • « Les Lyonnaises », in Le Progrès illustré, dimanche 3 novembre 1895, n°255.
  • Louis-Agathe Berthaud, "A Sophie Grangé", in Camille Noé Marcoux, Louis-Agathe Berthaud (1810-1843): bohème romantique et républicain, Bassac, Plein Chant, 2017, pp.65-68
  • Camille Noé Marcoux, « Sophie Grangé : poétesse romantique révoltée, un feutre noir au front et des bottes aux pieds ! », in Autour de Vallès, 2017, n°47, pp. 353-360.

Références

  1. Dates de naissance et de décès inconnues
  2. Recueil de cantiques pour le jubilé, et autres fêtes de l'année, Lyon, Barret, , p. p.12 
  3. Romances et poésies diverses, Lyon, Barret, , p. p.22 
  4. Camille Noé MARCOUX, « Sophie Grangé : poétesse romantique révoltée, un feutre noir au front et des bottes aux pieds ! », Autour de Vallès,‎ 2017, n°47, p.358
  5. Sophie Grangé, « A la femme », Le Papillon,‎ mardi 4 septembre 1832, n°19
  6. « Les Lyonnaises », Le Progrès illustré,‎ dimanche 3 novembre 1895, n°255
  7. Clair et Alexandre Tisseur, Poésies de Jean Tisseur, Lyon, Pitrat aîné, 1885, p. XXXIX
  8. Camille Noé Marcoux, « Sophie Grangé: poétesse romantique révoltée, un feutre noir au front et des bottes aux pieds », Autour de Vallès,‎ , p.355
  9. Sophie Grangé, "Moi", in Le Papillon, mardi 10 juillet 1832, n°3
  10. Sophie Grangé, "A M. Delacroix", in Le Papillon, mardi 21 août 1832, n°15
  11. Charles Delacroix, « Quittez le feutre ! », Le Papillon,‎ samedi 18 août 1832, n°14
  12. Louis-Agathe Berthaud (1810-1843): bohème romantique et républicain, Bassac, Plein Chant, , 320 p. (ISBN 978-2-85452-329-4), p. p.17 
  13. Louis-Agathe Berthaud, "A Sophie Grangé", in Le Papillon, samedi 6 octobre 1832, n°28
  14. Camille Noé Marcoux, « Sophie Grangé: poétesse romantique révoltée, un feutre noir au front et des bottes aux pieds », Autour de Vallès,‎ 2017, n°47, p.360
  15. Michèle Riot-Sarcey, Histoire du féminisme, Paris, La Découverte, 2008 (2002), p. 32

Liens externes

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