Hétérogénéité spatiale et temporelle dans les populations : conséquences évolutives
La dynamique des populations s’intéresse aux variations de la densité et de la composition dans une période de temps et un espace donnés d’un ensemble d’individus d’une même espèce. Cet ensemble d’individus représente un pool de gènes qui peut subir un changement (notamment de ses fréquences alléliques) en fonction des variations de certains facteurs spatiaux ou temporels : c’est l’évolution. Dans le cas de la dynamique adaptative, la fitness d’un individu ayant une mutation (c’est-à-dire que la possibilité que sa descendance exprime celle-ci), dépend de la densité de population en plus des variations de l’environnement.
L’hétérogénéité
Les variations spatiales et temporelles commencent à apparaître entre le milieu des années 1960 et le début des années 1970, notamment dans les modèles écologiques de McAthur et Levins en 1964 par exemple. L'hétérogénéité spatiale et l'hétérogénéité temporelle sont généralement développées en commun. Toutefois des études récentes montrent que les effets sur les populations de ces deux types d'hétérogénéité sont différentes et varient en intensité selon l'espèce, l'âge ou l'origine géographique.
Spatiale
L’hétérogénéité spatiale correspond à la variation spatiale des ressources, de la qualité des habitats et des conditions abiotiques du milieu (température, humidité)[1] . On observe l’hétérogénéité spatiale d’une variable lorsque celle-ci prend différentes valeurs à des endroits différents [2]. La répartition hétérogène des ressources dans l'espace amènera à une distribution spatiale dite agrégée (ou sous dispersée). La prédation affecte aussi la distribution d’une population, comme chez les balanes, Balanus glandula, (organisme marin fixé), où les différences spatiales des taux de prédation affectent la distribution locale des larves [3]. En outre, la distribution d’une population peut résulter du comportement (ex. la territorialité chez les oiseaux ou la formation de colonie chez les insectes sociaux)[4]. Il faut noter que la distribution d'une population est déterminée par rapport à une échelle spécifique. Ainsi, une population peut avoir différents types de distribution en fonction de l'échelle d'observation et de différents paramètres biologiques.
Temporelle
L'hétérogénéité temporelle des populations peut être étudiée sur une échelle de temps différente, selon l'espèce étudiée. De ce fait, les effets seront eux aussi variables, en fonction de la taille de la population, de l'espèce et du climat. Face à cela, des variations phénotypiques apparaissent et une diversité génétique s'installe au cours du temps de façon à ce que l’espèce soit la mieux adaptée à son environnement. Cette hétérogénéité entraîne un déplacement des populations, favorise la diversité et entraîne l'apparition de cycles liés au climat ou à l'évolution des ressources. Des similarités seront ainsi observées au sein d'espèces différentes, bien qu'apparentées, dans des conditions climatiques très variables[5].
Conséquences évolutives (petites à grandes échelles)
Charles Darwin insistait sur le fait que l’évolution était un processus lent: "That natural selection always acts with extreme slowness I fully admit."(Darwin 1859, p121). L’évolution, au sens de Charles Darwin, ne générait qu’une sélection naturelle faible, qui changeait rarement de direction.
Or, il a été remarqué que la direction et l’intensité de la sélection naturelle changeaient en fonction du temps et de la géographie, ce qui entraînait l’augmentation de la variance phénotypique dans toutes les lignées évoluant. Par ailleurs, des études ont mis en évidence que certains organismes possédaient une plasticité phénotypique. Cette plasticité est principalement observée dans des environnements hétérogènes où elle permet à l'organisme de mieux réagir à son environnement. En effet, face à des modifications brutales de l'environnement, l'organisme aura ainsi davantage de survivre, s'il possède une diversité génétique importante. C'est le cas notamment pour les espèces généralistes qui seront à même de survivre dans des écosystèmes variables comparativement à des espèces vivant dans des lieu nécessitant des disposition phénotypiques particulières. Finalement, des changements à plus long terme peuvent créer une sélection, et si cette période est assez longue, cela pourra être perçu comme une sélection allant toujours dans la même direction[6] .
Conséquences spatiales
Population
Une population peut être caractérisée par un ensemble de paramètres qui lui sont spécifiques tel que les traits d’histoires de vie. Cela regroupe l’intégralité des caractéristiques possédées par un organisme, ayant des effets sur sa valeur sélective au sein de la population. En effet, un individu va allouer son énergie de manière à mettre en avant une de ses capacités. Il pourra entre autres favoriser sa reproduction au détriment de sa survie (ou inversement), voire, si le milieu le permet, assurer ces deux capacités simultanément : ce compromis dû à l’allocation est le Trade Off . Il est vrai que si l’environnement, les ressources ou encore les prédateurs sont répartis de manière spatialement hétérogène, la population devra inévitablement faire un « choix » entre favoriser sa survie ou son taux de reproduction (en sachant que ce choix n’est pas réalisé consciemment par la population mais résulte de processus sélectionnés au cours de l’évolution de cette population). Par ailleurs l’allocation des ressources ou de l’énergie peut être différente entre individus.
De même, l’augmentation de la population favorise la rencontre entre individus sexuellement matures et de sexe opposé : ce qui permet un brassage génétique favorable à la diversité. De ce fait si certaines mutations adviennent dans un environnement défavorable, les descendants présenteront un phénotype plus résistant à ce type de perturbation. Malgré tout, chaque résistance supplémentaire présente un coût, risquant ainsi de diminuer le potentiel reproductif de l’espèce.
Métapopulation
La métapopulation désigne l'ensemble des populations locales d'une espèce qui sont connectées entre elles par le mouvement (émigration et immigration) des individus à travers ce réseau de tâches d’habitat. À cette échelle d’hétérogénéité spatiale, il existe des pressions de sélection spécifiques qui influencent la fitness des individus durant la phase de dispersion et de colonisation.
Le modèle classique consiste en plusieurs petites populations locales connectées entre elles, séparées par une distance plus ou moins importante. Celles-ci ont un risque d’extinction relativement élevé, et c’est généralement la métapopulation qui survie sur le long terme. L’alternance entre extinction et colonisation entraîne un nombre de turn-over important. Les turn-over accélèrent la dérive génétique et permet ainsi une meilleure résistance de la métapopulation face à un environnement variable[7]. De ce fait une population au sein d'une métapopulation pourra être amené à disparaître, face à un prédateur ou l'invasion d'une espèce, mais la métapopulation en elle-même pourra survivre.
Allopatrie
L’interruption du flux de gène intervient après une spéciation au sein d’une population initiale. Les individus « échappés » de cette population ne peuvent, après plusieurs années, se reproduire entre eux. D’après Alexandre Robert « la réduction, l’isolation ou la fragmentation doivent conduire […] à la perte du potentiel évolutif »[8]. Si le mécanisme évolutif ne participe plus au processus, la dynamique de la population devrait ralentir. Il existe donc différents effets évolutifs concernant les spéciations : soit la population de l’espèce fondatrice augmente très fortement par variations alléliques, soit la population n’évolue plus à risque d’extinction.
Conséquences temporelles
L’hétérogénéité temporelle affecte la densité et le taux de croissance d’une population au cours du temps. En effet de nombreuses espèces ont un temps entre les générations, variable de plusieurs heures à un an. Par exemple, l'hétérogénéité des facteurs abiotiques aura une influence différente sur le taux de survie d'un stade de développement à l'autre: cela peut jouer sur la densité moyenne de l'espèce[9]. De plus il a été montré que les modifications de l’environnement affectaient davantage les plus petites populations[5]. En effet, de nombreuses études ont montré que plus une population est de taille importante, plus sa capacité à survivre dans son environnement est importante. C’est notamment un des critères de l’IUCN pour inventorier les espèces en danger.
Au sein d’une population, la reproduction, facteur ayant une incidence sur la densité d’une population (dite densité-dépendance), peut varier sur une certaine période temporelle afin de correspondre aux besoins de la descendance. C’est le cas chez les oiseaux insectivores qui font correspondre leur reproduction à celle de l’émergence d’insectes pour nourrir les jeunes[10]. Cette interaction entre le moment de reproduction et l’émergence suggère un mécanisme évolutif simple. Cela suggère donc que l’effectif de la population dépendra ici, de la date d’émergence des larves utilisées pour nourrir les petits, et donc d’une hétérogénéité temporelle au sein de la population puisqu’il y a une variation de l’environnement. Ce sont ainsi les stades juvéniles qui montreront pour de nombreuses espèces, des effets de l'hétérogénéité avec des variations du taux de survie. Il a en effet été montré que les adultes avait une meilleure plasticité et réagissaient mieux aux fluctuations environnementales comparé aux jeunes[5]. De plus, des pluies importantes influenceront le taux de survie des jeunes si l'événement se produit durant la période de gestation ou de lactation. De même la présence de prédateurs et la densité de la population sont des facteurs qui influenceront à court terme la survie des juvéniles et l'évolution de la population.
La dynamique des populations au cours du temps montre donc une variabilité conséquente due à la stochasticité environnementale et démographique qu'il est difficile de prévoir. Cela rend les volontés de conservation d'espèces en danger compliquées. Cependant, l'avancée de ces connaissances est primordiale et montre bien qu'il est impossible de prévoir intégralement l'évolution d'une population au cours du temps[5].
Voir aussi
Articles convexes
- Stochasticité démographique
- Évolution
- Dynamique des population
- Écologie du paysage
- Distribution spatiale (écologie)
Notes et références
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