Berbérisme
L'amazighisme ou le berbérisme (en amazighe : Tamaziɣiẓri) est un mouvement politique et identitaire qui milite pour la reconnaissance de la dimension culturelle, historique, identitaire, et linguistique amazighe dans les pays d'Afrique du Nord-Ouest.
L'amazighisme, en tant qu'interprétation idéologique de l'histoire du l'Afrique du Nord-Ouest faisant de la permanence de l'identité amazigh une clé de cette histoire, pour en tirer des conséquences politiques, doit être distingué du fait amazigh, c'est-à-dire l'existence de populations définies par une langue spécifique véhiculant une culture particulière.
Histoire
Il est difficile de situer avec exactitude la genèse du mouvement berbériste : on peut toutefois la dater de l'émergence des travaux culturalistes des premiers lettrés berbéristes du XXe siècle, tel Kateb Yacine ou Mouloud Mammeri ou Ouali Bennaï ou Amar ould-Hamouda la crise berbère de 1949 et des instituteurs, essentiellement au tournant du XXe siècle.
Durant la colonisation
Selon l'historien Guy Pervillé, le berbérisme est en partie une création des auteurs coloniaux qui s'appuyant sur le fait berbère en avaient tiré la justification d'une politique visant à séparer les Berbères des Arabes pour rapprocher les premiers des colonisateurs français. « Cette valorisation des Berbères se faisait en les rapprochant de l’Occident européen, par l’affirmation d’une communauté d’origine et de “race”, garante de vertus héréditaires communes à des peuples également sédentaires, travailleurs, économes et démocrates. » Cette communauté de civilisation aurait été brisée par la conquête arabe et l'islamisation. Cette vision idéologique a inspiré une politique kabyle en Algérie et une politique berbère au Maroc, mais, selon Pervillé, « ni l’une ni l’autre ne sont allées au-delà des déclarations d’intentions ».
La crise berbériste dans le mouvement PPA/MTLD
L'année 1949 est un repère historique important, c'est l'année où éclate la crise berbériste qui visait à intégrer la dimension amazighe et rejeter la dimension singulière dans le mouvement nationaliste algérien, lequel avait pour objectif l'indépendance du pays. Les militants voulaient une Algérie algérienne qui serait multiethnique, reconnaissent toutes les composantes du pays. Lors de la crise berbériste au Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques en Algérie (MTLD), la fédération de France du MTLD fit voter (28 voix sur 32) –- à l'initiative de Rachid Ali Yahia –- une motion allant à l'encontre des idées du parti : « Algérie Algérienne ». S'ensuivit une purge au sein du parti, conséquence directe de ce vote.
La négation de la dimension amazighe : identité, culture, langue… se fait au profit d’une définition arabo-islamique de la nation algérienne, dont les fondements se situent dans le panarabisme. La prédominance exclusive de la vulgate arabo-islamiste exclut l'entité amazighe du terrain politique et social. La thèse de l'Algérie algérienne est dénoncée ce qui remet en cause le concept de l’arabo islamisme par le fait qu’elle a éclaté en France chez les cadres de l’immigration, et qu'elle n’a pas touché les militants d’Algérie, pas même en Kabylie, région pourtant particulièrement concernée. Car en France, il existe l’hypothèse des effets d’influence de la société française (laïcité, position des jeunes intellectuels berbères en France, en rupture avec les coutumes religieuses et les traditions familiales, volonté de sortir d’un nationalisme jugé trop étroit pour l’intégration plus grande aux luttes sociales en France). Mais cette hypothèse paraît fantaisiste, la laïcité s'inscrit dans un cadre révolutionnaire universaliste de rupture avec la tradition, d'autant plus que les langues régionales en France ont longtemps été persécutée dans ce même contexte, l'arabe dialectal semble donc bien plus cohérent pour ce genre de mouvement (la majorité des arabophones de France comme d'Afrique du Nord (à l'exception de l'Egypte) sont d'origine amazighe), il semblerait que ce soit plutôt l'inverse qui se produit, un rejet de cette vision française aliénante qui motive ces intellectuels berbèristes. Peu importe, après la défaite politique des auteurs de la thèse Algérie algérienne devant la direction du PPA, qui n’est pas d’ailleurs la conséquence de la faiblesse de leur proposition, mais celle de la fragilité d’une Algérie colonisée, désorganisée, aliénée, pauvre culturellement, incapable de vivre pour elle-même et de se doter d’une identité structurante propre.
À défaut d’imprimer l’identité berbère aux textes fondamentaux du mouvement nationaliste, indépendantiste…PPA, MTLD, UDMA, puis FLN, les militants de la thèse Algérie algérienne ont tenté à différentes périodes de l’histoire de contribuer aux documents fondamentaux édifiant la nation algérienne : Le Congrès de la Soummam en 1956, La Charte de Tripoli en 1962, la Charte d’Alger en 1964, la Charte nationale, les différentes Constitutions... intégrant la dimension berbère. Ces auteurs militants, s'ils ont pas été tués, ont été emprisonnés ou poussés à l’exil, comme furent aussi d'autres militants qui prônaient une Algérie démocratique dans le cadre des principes Islamiques. Ce n'est qu'en 1980, que la revendication berbère avec l'adhésion de toutes les couches sociales a investi la rue, après le refus par les autorités de la tenue d’une conférence de Mouloud Mammeri, écrivain, chercheur, linguiste sur la poésie ancienne kabyle. Le MCB, le mouvement associatif, les ligues des Droits de l’Homme, Amnesty Internationale font de la revendication berbère leur cheval de bataille. Sans parler de l’Académie berbère, des sites Web, des radios associatives, de Berbère Télévision (BRTV) et divers relais de la diaspora berbère. Les partis démocratiques à l’ouverture du processus démocratiques en 1989, juste après la révolte populaire du 5 octobre 1988 (plus de 500 jeunes ont trouvé la mort) ont intégré la revendication dans leur projet de société, à l’instar du FFS, RCD principalement. À des degrés moindres le PT, le PST, le PC… Puis le mouvement des comités de village après la révolte de 2001, rédigeant la plateforme d’Elkseur. Ainsi que le Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK), et des petits partis naissant.
Conséquence de cette crise
Les militants sont vite indexés et marginalisés. Certains sont éliminés par l'ALN ; c'est le cas de Amar Ould Hamouda et Mbarek At Menguellat, assassinés en 1956 au village Ait Ouabane (At Waɛban), dans l'actuelle commune de Akbil en haute-Kabylie, où ils sont enterrés dans deux sépultures, l'une à la sortie Est du village, l'autre à la sortie Ouest[3].
Hocine Benhamza, docteur en sciences économiques de l’université de Paris, militant au sein du PPA, ancien détenu politique pendant la guerre d’Algérie, dit à ce propos : « À la fédération de France du MTLD, il y avait 32 membres dont 28 à l’initiative de Rachid Ali Yahia, étudiant, et sous l’impulsion de militants kabyles notamment Benaï Ouali, Ferah Ali, Said Oubouzar et d’autres, disaient « Nous nous battons pour la démocratie, la laïcité, l’indépendance et pour une Algérie algérienne ».
La position du PPA-MTLD
Messali et ses partisans, y compris ceux du comité central, disaient « L'Algérie est un pays arabe. Elle doit se tourner vers les pays du Proche-Orient, devenir une composante de la nation arabe. L’Algérie est un pays musulman, il faut promouvoir la religion musulmane ». Certains responsables kabyles, y compris ceux faisant partie de l’OS, déclaraient : « Oui aux revendications berbères, mais pas de façon prématurée. Il faut d’abord obtenir l’indépendance avant de poser le problème berbère ». À la suite de toutes ces divergences, le mouvement berbère initial fut mis de côté. »[4] Mais la majorité des responsables kabyles du PPA-MTLD, y compris ceux de l'OS, se sont dressés contre ce travail de sape qui frappait le parti.
La culture et la langue berbères étaient admises dans le Parti. Dans l’ENA, le PPA ou le MTLD en 1946, le kabyle était utilisé aussi bien dans les discours par nombre d’orateurs qui avaient le don de le maîtriser avec éloquence que dans les chants et hymnes qui mettaient de l’ambiance dans les réunions de militants, les fêtes familiales ou les rassemblements populaires. Mais la culture et la langue berbères étaient acceptées dans la mesure où le principe arabo-islamique, fondement idéologique du Parti, n’était pas remis en cause. L’hymne du PPA -fida’oû el djazaïr- chanté par tous les militants, a été écrit par un Algérien mozabite, Moufdi Zakaria. Cela n’empêche pas qu’il affirme comme une des finalités du combat national la renaissance de la langue arabe dans l’Algérie libérée.
Il y était plutôt question d’un certain « parti populaire kabyle » (PPK) qui serait en train de se structurer à l’intérieur même du PPA-MTLD[5]. L’enquête révéla les noms des initiateurs de ce travail de division : Ouali Bennai, Omar Oussedik, Amar Ould Hammouda, Sadek Hadjerès. Ils furent sanctionnés, non pour leurs idées, qui étaient plus ou moins tolérées, mais pour leurs activités de sape et leurs menées fractionnelles. La plupart des exclus rejoindront le Parti communiste algérien, dont Sadek Hadjerès deviendra l’un des chefs, ou activeront dans son sillage. Après l’indépendance Hadjerès sera le secrétaire général du PAGS (Parti d’avant-garde socialiste) nouvelle dénomination du PCA.
L’action des berbéristes n’a pas obtenu l’assentiment de la population. En Kabylie, sur douze kasmas, une seule, celle de Ain El Hammam (ex-Michelet), fief d’Ould Hammouda, passa sous leur contrôle, et elle le demeura pendant un an environ
La position de Abane Ramdane et le FLN
Une lettre adressée par les congressistes de la Soummam condamnait le « travail de sape » au sein de la communauté algérienne en France des éléments « berbéristes ». La lettre fut signée par les dirigeants du FLN à savoir Zighout Youcef, Abane Ramdane, Larbi Ben M'hidi, Krim Belkacem, Lakhdar Bentobal, Ouamrane, Si Cherif[6],[7].
Des années 1980 à nos jours
En 1980 éclatent les manifestations du Printemps berbère, au cours desquelles les berbérophones de Kabylie réclament l'officialisation de leur langue. En 1988, l'ouverture démocratique donne une forte impulsion à la revendication berbériste avec la création du « Mouvement culturel berbère »[8].
Au cours de la « grève du cartable » des années 1994 et 1995, des élèves kabyles boycottent les écoles pour contester le monolithisme linguistique et culturel de l'arabe. En 1998, de très violentes émeutes suivent l’assassinat du chanteur Lounès Matoub. À partir de là, le climat devient pré-insurrectionnel. En 2000, la chaîne Berbère Télévision commence à émettre sur les ondes de Paris.
Lors du Printemps noir (), de violentes émeutes éclatent en Kabylie à la suite de la mort de Massinissa Guermah, jeune lycéen abattu par la gendarmerie à Béni-Douala. Le , les Kabyles, réclamant notamment l'officialisation de la langue berbère, marchent sur Alger avant d’être réprimés par la police[8].
Le , le roi Mohammed VI du Maroc crée un Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) pour promouvoir la culture berbère.
En 2002, une révision de la Constitution algérienne de 1996 fait de l'amazighité l'une des composantes fondamentales de l'identité nationale algérienne, aux côtés de l'islam et de l'arabité. Parallèlement, les autorités fondent un Haut commissariat à l'amazighité. Dès lors, les revendications berbéristes diminuent[8].
Le , Mohammed VI propose une nouvelle constitution pour le Royaume du Maroc avec notamment l'élévation du berbère au rang de deuxième langue officielle du pays.
Lors des manifestations de 2019 en Algérie, le général Ahmed Gaïd Salah prévient que seules les couleurs nationales sont désormais autorisées dans les cortèges. En août 2019, un tribunal algérien requiert 10 ans de prison ferme contre un manifestant ayant brandi un drapeau berbère lors d’un rassemblement contre le régime. Selon le journal Ouest France, près de 60 personnes ont été arrêtées et placées en détention préventive en attendant leurs procès dans plusieurs villes d’Algérie pour des motifs similaires. Se rapportant à la presse algérienne, le quotidien précise que deux personnes ont été jugées et condamnées à deux mois de prison avec sursis[9].
En 2023, une nouvelle loi dispose que l'une des conditions à l'obtention de la nationalité marocaine est de maitriser la langue arabe ou la langue amazighe[10].
Références
- Said Sadi, Amirouche : une vie, deux morts, un testament, Tizi Ouzou Imprimerie les oliviers 2010, page 100
- Nacer Boudjou, « Crise dite ‘’Berbériste’’ de 1949 : ‘’La thèse de l’Algérie algérienne face l’Arabo-islamisme’’ », ADN, (Crise dite ‘’Berbériste’’ de 1949)
- Les Origines du Premier Novembre, Benyoucef Benkhedda
- Anne Marie Louanchi et Salah Louanchi, Parcours d’un militant algérien, Éditions Dahleb, , p. 193, annexe 5
- Oui, l'islam a joué un rôle dans la guerre d'Algérie
- Bernard Lugan, Histoire des Berbères, des origines à nos jours. Un combat identitaire pluri-millénaire., Afrique Réelle, , 204 p..
- Algérie. 10 ans de prison requis contre un manifestant qui a brandi le drapeau berbère, ouest-france.fr, 5 août 2019
- Le Matin MA, « Nationalité marocaine : Le demandeur doit désormais parler arabe ou amazigh », (consulté le )
Annexes
Articles connexes
Liens externes
- Les Etats du Maghreb face aux revendications berbères, par Maxime Ait Kaki.
- Petite histoire de la question berbère en Algérie, par Yassin Temlali.
- Les bases sociales du berbérisme : critique d’un mythe, par Salim Chaker.
- Chronologie du mouvement berbère, un combat et des hommes, par Ali Guenoun paru aux éditions Casbah Alger, 1999.
- Laïcité et athéisme en Kabylie: mythes et ambigüités, par Yidir Plantade.
- La Crise berbériste 1949, Benyoucef Benkhedda